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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Au nom du père
de Jim Sheridan
Grande-Bretagne/USA, 1993, 2h13

Ce dossier s'adresse aux enseignants qui verront le film avec leurs élèves. L'extrait qui suit est tiré d'une analyse originale du film, qui s'attache notamment aux moyens utilisés par les scénaristes pour favoriser l'identification du spectateur.

Un peu de simplification
pour une plus grande efficacité

Si l'image que donne Jim Sheridan de la police britannique est peu flatteuse, son portrait de l'IRA est chargé, lui aussi. Nous voudrions montrer ici comment le réalisateur renvoie dos à dos deux des forces en présence dans l'affaire Conlon.

A cette époque, la police anglaise bénéficiait d'un pouvoir spécial, conféré par le «Prevention of Terrorism Act», qui l'autorisait à détenir pendant sept jours des suspects dans les affaires de terrorisme, sans que ceux-ci puissent avoir recours à un avocat. Dans Au nom du père, tout se passe comme si la police venait très rapidement à abuser de ce pouvoir. On ne peut qu'être choqué par la violence de l'arrestation de Gerry d'abord et de la famille Maguire ensuite. Des hommes surgissent brutalement dans la chambre de Gerry, dans le salon des Maguire, comme si l'assaut avait été donné à leurs maisons. On voit aussi Gerry emmené en pleine nuit en Angleterre, dans ce qui ressemble fort à un avion de guerre.

Les actions de l'IRA ne sont pas moins brutales. Pour punir Gerry d'avoir peut-être attiré l'attention des soldats sur une planque, les hommes de l'armée irlandaise veulent lui tirer une balle dans le genou. Il est difficile de dire s'ils ne le font pas à cause de l'intervention de Giuseppe ou s'ils voulaient seulement lui faire peur, mais un détail qui apparaît plus tard nous éclaire sur leurs véritables intentions. Quand Gerry et Giuseppe reçoivent la visite de Sarah et de la petite sur de Gerry, celle-ci lui annonce : «Danny est mort. L'IRA a dit que c'était un voleur incorrigible.» On peut comprendre que ce voleur, moins chanceux que Gerry, a été assassiné par l'IRA La punition des petits gêneurs apparaît comme un abus de pouvoir, d'autant plus choquant que ce pouvoir n'est pas légitime.

La police sait aussi jouer des intimidations. Gerry est soumis à une torture physique et morale. Les interrogatoires n'en finissent pas. Les mêmes questions se répètent auxquelles Gerry apporte les mêmes réponses. Enfin, on le menace. «Je vais descendre ton père», lui dit tout bas un policier qui, par ailleurs, fait des gestes de dément.

Joe MacAndrew, lui, pour se faire respecter, menace de faire sauter la maison du «chef» des prisonniers, avec sa femme et ses enfants dedans. Il ajoute : «Je ne menace pas. Je transmets des ordres», ce qui montre bien qu'il a derrière lui une organisation puissante qui le soutient. Au-delà des actes de terrorisme qui bien qu'inadmissibles relèvent d'un combat politique, l'IRA use de son influence et de méthodes scandaleuses pour servir des intérêts personnels.

Enfin, l'affaire des «4 de Guilford» devient un problème personnel pour Dixon, le chef de la police qui s'écarte de sa mission. Pour lui, préserver son image et celle de la police devient plus important qu'exercer sa fonction loyalement. Il n'est pas question d'admettre ni de révéler son «erreur». Dans une conversation qu'il a avec un autre responsable, on entend : «Votre boulot, c'est de mettre fin aux attentats», sous-entendu «pas de rendre la justice». On sent aussi l'hésitation de la police sur le fait de laisser croire ou non à la culpabilité des «Guilford 4». Au tribunal, Dixon nie avoir fait violence aux accusés. Là encore, l'intérêt personnel est en contradiction avec la vérité. Enfin, lorsque le verdict tombe, les signes de joie que partagent Dixon et sa femme sont révélateurs de leur implication personnelle dans cette affaire. Ils s'échangent des gestes de victoire comme si le policier était partie alors qu'il n'est que témoin. Et quand Joe MacAndrew est arrêté et qu'il revendique la responsabilité de l'attentat de Guilford, ce qui semblait être une erreur un peu forcée, certes tourne au mensonge. La police n'admet pas la bavure et ne fait rien pour sortir les Conlon de prison. Enfin, au second procès, Gareth révélera l'alibi de Gerry, caché par la police : dès le début, Dixon savait l'innocence du petit voyou de Belfast. Cette fois, on ne peut décidément plus parler d'erreur mais bien d'enquête truquée.

Quant à Joe MacAndrew, il déguise le conflit qui l'oppose à Parker en lutte idéologique. Le discours qu'il tient à Gerry est à peu près celui-ci : «La Grande-Bretagne veut dominer le monde. Partout où elle s'est imposée, il a fallu se battre pour la chasser. Cette prison n'est qu'un prolongement de son impérialisme. Donc, Parker est notre ennemi.» Alors que Gerry semble se laisser convaincre, Giuseppe, qui n'a aucune raison d'en vouloir à Parker, bavarde tranquillement avec lui. (Celui-ci veut savoir d'où lui vient ce prénom italien.) MacAndrew voit d'un mauvais il les bonnes relations de ces deux-là. Finalement, il organise cet attentat, d'une violence inouïe, contre le gardien.

Ainsi, aussi bien la police que l'IRA paraissent « corrompues », dans le sens où elles exercent leur pouvoir en dehors de leur mission. La première, pour préserver une façade, n'exerce pas sa fonction comme elle le devrait. La seconde détourne une lutte politique qui peut paraître légitime au départ même si ses moyens ne le sont pas en violence gratuite.

Cette vision de la réalité est sans doute simplifiée et les traits grossis. Cette schématisation contribue à conforter la position du spectateur. Celui-ci se fait vite son propre jugement. Si quelques éléments du film peuvent «excuser» les agissements de l'IRA (par exemple, le soutien de la population catholique irlandaise pendant l'émeute, qui légitime l'IRA en tant qu'organisation de défense) et de la police (la pression de l'opinion publique qui réclame des coupables), ni les hésitations (feintes?) de Dixon, ni les regrets de MacAndrew vis-à-vis des Conlon ne font illusion : l'un et l'autre ont délibérément outrepassé leurs « droits » sans s'être posé la moindre question de conscience.

Cette simplification (par exemple, la personnification : la police est représentée par Dixon et l'IRA par MacAndrew[1]), ces choix dans la représentation des faits et des personnages (par exemple, avoir fait de Dixon et de MacAndrew des individus assez odieux) contribuent donc à favoriser la participation du spectateur en l'invitant à prendre parti et rendent le film particulièrement efficace.


[1] On peut supposer et espérer que tous les policiers britanniques ne sont pas des salauds et que tous les membres de l'IRA ne sont pas des fous cyniques assoiffés de violence.


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