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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film:
Lumumba
de Raoul Peck
France-Belgique-Haïti, 2000

Le dossier dont on trouvera ci-dessous un extrait s'adresse d'abord aux enseignants et aux animateurs qui verront ce film avec un jeune public (à partir de quinze ans environ). Il propose plusieurs animations autour du film et de son contexte, qui pourront être mises en oeuvre rapidement après la projection.

Comprendre le film dans son contexte historique

Présentation

Il est pratiquement impossible de voir un film comme Lumumba de Raoul Peck sans connaître le contexte historique dont il s'inspire: nombre de figures sont en effet à peine esquissées — le roi Baudouin, Moïse Tschombé, la CIA, les «Russes»...—, et le réalisateur suppose que le spectateur connaisse ou simplement reconnaisse certains des personnages ou des événements mis en scène pour en comprendre le sens, souvent par contraste entre cette image connue et celle qu'en donne Raoul Peck. C'est le cas par exemple de Kennedy dont le nom est à peine cité mais qui est largement idéalisé aux États-Unis et en Europe alors que le point de vue des Africains et de beaucoup d'autres pays du Tiers-Monde est sans doute beaucoup plus critique. La même «dialectique» entre image «officielle» et image donnée par le film opère également pour Mobutu dont la figure fut largement popularisée par les médias mais dont l'origine est beaucoup plus mal connue en Occident et est éclairée sous un jour singulier par Raoul Peck.

La connaissance des événements historiques mis en scène dans Lumumba varie cependant beaucoup selon les spectateurs, et l'on peut notamment supposer que les plus jeunes d'entre eux auront certaines difficultés à saisir nombre d'allusions contenues dans ce film. Il conviendra donc d'apporter aux élèves des informations historiques complémentaires sur l'ensemble du contexte évoqué dans Lumumba.

L'exercice proposé ici consistera à utiliser, d'une part, les connaissances spontanées des élèves sur ces événements et, d'autre part, les informations fournies par le film de Raoul Peck. Un questionnaire devrait alors permettre aux élèves de faire le point sur leur compréhension des événements mis en scène dans Lumumba. Un texte informatif leur permettra ensuite de compléter leurs informations.

Cette animation interviendra de préférence rapidement après la vision du film alors que les souvenirs des jeunes spectateurs sont encore vifs (dans les jours qui suivent).

Objectif

  • Maîtriser le contexte historique auquel fait référence le film de Raoul Peck

Méthode

  • L'utilisation d'un questionnaire doit permettre aux élèves de prendre conscience des manques éventuels dans leurs connaissances du contexte historique : un document écrit doit ensuite leur permettre de compléter leurs connaissances.

Commentaires

On trouvera ci-dessous un questionnaire (paragraphe A) qui pourra être donné aux élèves avant la projection du film. Ceux-ci essaieront de répondre aux questions en se basant sur leurs connaissances spontanées. Après la projection, ils seront invités à revoir leurs réponses et à éventuellement les corriger ou les compléter en fonction des informations fournies par le film.

Ils recevront ensuite la solution du questionnaire (paragraphe B) et pourront ainsi vérifier la justesse de leurs réponses. En fonction des résultats obtenus, ils seront alors invités à consulter certains paragraphes d'un texte de présentation détaillée du contexte historique (paragraphe C).

L'ensemble de l'exercice repose donc sur un processus d'auto-évaluation et d'auto-correction.

Un exemplaire du texte de présentation historique (paragraphe C) sera conservé par chaque élève comme document de référence.

A. Questionnaire

  1. Comment le Congo est-il devenu une colonie belge?
    1. La Belgique a envoyé des troupes conquérir le pays
    2. Soutenus par le roi Léopold II, des explorateurs et des aventuriers ont mené des expéditions armées dans le pays qui fut reconnu au roi comme colonie par les autres pays européens à la conférence de Berlin en 1885
    3. Suite à la défaite allemande en 1918, cette colonie passa à la Belgique
    4. Explorateurs, colons et commerçants d'origine belge se sont implantés progressivement dans un pays peu peuplé et sans organisation administrative et ont mis progressivement sur pied un État centralisé sous la direction du roi Léopold II

      réponse suggérée

  2. L'indépendance du Congo
    1. résulte d'une décision du Roi des Belges contre l'avis de son gouvernement
    2. est le fruit de la lutte armée menée par les Congolais
    3. est la conséquence du mouvement général de décolonisation en Afrique et en Asie
    4. résulte des pressions de l'ONU sur le gouvernement belge

      réponse suggérée

  3. Qui était Lumumba?
    1. Un révolutionnaire africain
    2. Le Premier ministre du Congo élu démocratiquement en 1960
    3. Un héros de la lutte pour la décolonisation écarté du pouvoir au moment de l'indépendance
    4. Un opposant à la politique dictatoriale du président Mobutu

      réponse suggérée

  4. Qui était Mobutu?
    1. Le seul Noir élevé avant l'indépendance au rang de colonel dans la Force publique, l'armée congolaise mise en place par les Belges
    2. Un des membres du gouvernement Lumumba devenu chef d'état-major
    3. Un sergent de la Force publique qui s'est auto-proclamé colonel après un coup d'État

      réponse suggérée

  5. Quelle est l'origine des troubles survenus au lendemain de l'indépendance du Congo?
    1. Une rébellion de la Force publique, l'armée congolaise qui était toujours dirigée par des Blancs
    2. Une intervention armée des États-Unis
    3. Une insurrection menée par une guérilla communiste
    4. Le refus des anciens colons blancs de se soumettre aux ordres du gouvernement congolais
    5. Le refus des troupes belges de quitter le Congo

      réponse suggérée

  6. Que s'est-il passé au Katanga en 1960?
    1. Cette riche province a profité des troubles pour faire sécession
    2. Des troubles particulièrement graves ont mis en péril les anciens colons belges
    3. L'armée belge a envahi cette province et y a établi un gouvernement fantoche
    4. Un mouvement de rébellion s'y est implanté et a mené une guérilla pendant les premières années de l'indépendance
    5. C'est à partir de cette province que le colonel Mobutu a conquis l'ensemble du Congo

      réponse suggérée

  7. Quels facteurs peuvent expliquer les troubles qui ont suivi l'indépendance du Congo?
    1. L'absence de formation de cadres indigènes capables de remplacer les anciens colonisateurs
    2. Les ambitions personnelles des hommes politiques locaux
    3. Les rivalités Est/Ouest
    4. Les tentatives de la Belgique (ou de certaines instances belges) de préserver leurs intérêts notamment économiques au Congo
    5. L'immensité et la diversité d'un territoire difficile à contrôler

      réponse suggérée

Photo film

B. Réponses au questionnaire

1. b. Si ta réponse est incorrecte, consulte le paragraphe 1 du texte «L'indépendance du Congo»

2. c. Si ta réponse est incorrecte, consulte le paragraphe 1 du texte «L'indépendance du Congo»

3. b. Si ta réponse est incorrecte consulte, le paragraphe 5 du texte «L'indépendance du Congo»

4. b. Si ta réponse est incorrecte, consulte le paragraphe 5 du texte «L'indépendance du Congo»

5. a. Si ta réponse est incorrecte, consulte le paragraphe 5 du texte «L'indépendance du Congo»

6. a. Si ta réponse est incorrecte, consulte le paragraphe 5 du texte «L'indépendance du Congo»

7. a, b, c, d & e (toutes les réponses sont correctes)

Si tu n'as pas choisi la réponse a, consulte le paragraphe 4 du texte «L'indépendance du Congo»

Si tu n'as pas choisi la réponse b, consulte le paragraphe 2 du texte «L'indépendance du Congo»

Si tu n'as pas choisi la réponse c, consulte le paragraphe 3 du texte «L'indépendance du Congo»

Si tu n'as pas choisi la réponse d, consulte le paragraphe 3 du texte «L'indépendance du Congo»

Si tu n'as pas choisi la réponse e, consulte le paragraphe 4 du texte «L'indépendance du Congo»


C. L'indépendance du Congo

1. Colonisation et décolonisation

Il est évidemment impossible de comprendre l'action politique de Lumumba et des autres leaders indépendantistes du Congo si l'on ne tient pas compte de l'histoire coloniale où elle prend naissance.

On rappellera donc qu'au cours du XIXe siècle, les pays européens se sont taillés de vastes colonies en Afrique et en Asie. La colonisation répondait essentiellement à des objectifs économiques: ouverture de nouveaux marchés pour la production du pays colonisateur (ce fut par exemple la raison de l'intervention de la Grande-Bretagne en Chine, même si celle-ci ne fut jamais formellement une colonie), exploitation des ressources naturelles de la colonie (ce fut le cas du Congo dont les richesses constituèrent le principal attrait pour les premiers colons), utilisation d'une main d'uvre à bon marché Mais l'instrument de cette colonisation était fondamentalement militaire: plus développés technologiquement et militairement, les pays colonisateurs imposèrent par la force leur présence aux pays colonisés. Au Congo, cette conquête fut essentiellement menée par des explorateurs et des aventuriers souvent sans scrupules et soutenus par le roi Léopold II qui parvint en 1885 à faire reconnaître par les autres pays européens le Congo comme sa colonie personnelle: les exactions des premiers colonisateurs provoquèrent cependant une campagne de protestation internationale (essentiellement britannique) qui amena indirectement le transfert du territoire à l'État belge (en 1908).

Il ne s'agissait pas à proprement parler de conquêtes de territoires comme ce fut le cas en Amérique ou en Australie où la colonisation s'accompagna, d'une part, d'importants transferts de population européenne et, d'autre part, de l'extermination ou de la marginalisation extrême des populations indigènes (dans ce cas, l'on parlait de «colonies de peuplement»). En Asie et en Afrique, au XIXe siècle, la colonisation fut le fait d'une minorité européenne (parfois de quelques aventuriers) exerçant une autorité politique, administrative, économique et militaire sur des populations indigènes plus ou moins importantes et soumises par la force.

Cette exploitation et cette domination que l'on justifiait et que l'on glorifiait au nom du progrès, de la civilisation ou simplement de la supériorité de la race blanche, dépendait avant tout de la puissance militaire et technologique des pays européens. Partout elles rencontrèrent des résistances, souvent réprimées dans le sang, et ne purent survivre à l'affaiblissement (relatif) des puissances européennes au XXe siècle à l'issue notamment de la seconde guerre mondiale: la Grande-Bretagne, première puissance coloniale, sortait considérablement affaiblie de ce conflit et se savait incapable de maintenir militairement son vaste empire. La Belgique, petit pays européen jouissant grâce à un hasard historique d'une immense colonie en Afrique, comprit elle aussi rapidement après les premiers troubles en 59 qu'il lui était impossible de recourir à la force alors que son grand voisin, la France, était empêtrée dans une guerre coloniale cruelle et inutile en Algérie: la loi empêchait notamment le gouvernement d'envoyer au Congo des troupes qui ne soient pas volontaires et rendait donc (heureusement) une telle option pratiquement impossible (sans même compter les résistances qu'une telle aventure militaire aurait suscitées en Belgique même).

La lutte pour la décolonisation et l'indépendance nationale fut d'abord idéologique et concerna, à partir du début du siècle, des groupes d'intellectuels des pays colonisés (avec des grandes figures comme Gandhi en Inde, alors colonie britannique, Léopold Sédar Senghor au Sénégal, alors colonie française). Par la suite, elle devint politique et parfois militaire dans l'entre-deux-guerres et triompha pratiquement partout après 1945: l'Inde, principale colonie britannique, devint indépendante en 1947, l'Indonésie sous domination hollandaise en 1949, l'Indochine française en 1954, le Congo belge en 1960, l'Algérie française en 1962, l'Angola et le Mozambique, dernières colonies portugaises, en 1975

La décolonisation, quelles que soient ses formes, était fondamentalement une lutte pour le pouvoir politique et militaire: elle se réalisa quelquefois pacifiquement (du moins le retrait du pays colonisateur), elle s'accompagna presque toujours de troubles et s'accomplit parfois à travers un conflit armé. Ce fut le cas en Algérie secouée par une longue guerre de 1954 à 1962, au Viêt-nam où la guerre s'éternisa de 1954 à 1975 avec une longue et cruelle intervention militaire américaine, au Mozambique et en Angola où le Portugal essaya de se maintenir par la force jusqu'en 1975.

2. Les soubresauts de l'indépendance

La plupart des anciens pays colonisés devenus indépendants furent caractérisés par une grande instabilité politique, sociale et dans certains cas militaire qui ne s'explique pas uniquement par des raisons locales (comme par exemple les rivalités ethniques ou religieuses entre différentes communautés de ces pays) et qui doit trouver son explication dans le processus même de décolonisation. En effet, tous les pays démocratiques ou non, anciennement colonisés ou non connaissent des conflits internes (régionaux, ethniques, religieux, linguistiques, sociaux) qui ne débouchent cependant pas nécessairement sur des luttes armées ou sur une très grande instabilité gouvernementale comme ce fut le cas dans un grand nombre de pays devenus indépendants.

Même si ces conflits ou ces troubles prirent des formes très différentes, ils frappèrent en effet des pays aussi éloignés que le Viêt-nam, divisé entre un Nord communiste et un Sud sous influence américaine qui furent en guerre pendant vingt ans, l'Inde qui à peine indépendante connut la sécession sanglante du Pakistan qui s'accompagna du transfert de quinze à vingt millions de personnes d'un côté à l'autre de la frontière, l'Indonésie dont l'immense archipel fut confronté à de multiples mouvements séparatistes, l'Angola déchiré depuis l'Indépendance par une guerre civile sans fin, l'Algérie, l'Irak ou la Syrie dont les premiers dirigeants civils furent incapables de se maintenir au pouvoir et furent renversés par des coups d'État militaires. Ce fut également le cas du Congo secoué par des troubles dès le lendemain de l'Indépendance, menacé par la sécession de la riche province du Katanga, déchiré par les rébellions jusqu'à ce que finalement émerge un dictateur, Mobutu, chef d'une armée pourtant affaiblie et divisée.

Deux facteurs, liés d'ailleurs entre eux, expliquent sans doute ces troubles et ces soubresauts dans les anciennes colonies devenues indépendantes.

Le personnel des pays colonisateurs occupait l'essentiel des postes de responsabilité, que ce soit dans l'administration, l'armée, les forces de l'ordre et la sphère économique. Si la transition fut parfois préparée notamment dans les anciennes colonies britanniques, la plupart de ces pays manquaient de cadres capables de remplacer les anciens colonisateurs et de faire fonctionner correctement administrations et entreprises: les nouveaux pouvoirs en place, que ce soit au niveau national, régional ou local, ne pouvaient plus s'appuyer sur la force de l'habitude et des traditions établies (même si celles-ci avaient été le fait du pouvoir colonisateur perçu comme plus ou moins illégitime). La perception des impôts, toujours impopulaire, a ainsi souvent été rendue problématique par la faiblesse des nouvelles administrations minées en outre rapidement par la corruption. Une telle absence de cadres préalablement formés est très généralement considérée comme un des principaux facteurs des troubles qu'a connus le Congo après l'Indépendance.

Par ailleurs, le départ du colonisateur a nécessairement entraîné une vacance du pouvoir qui a suscité des appétits contradictoires: dans le bouleversement de la décolonisation, tous les rêves paraissaient possibles et toutes les aspirations légitimes. Pour les hommes politiques notamment, le pouvoir était à prendre surtout s'il apparaissait comme l'aboutissement légitime d'une lutte souvent très longue et très ardue (payée souvent par de nombreuses années de prison dans les geôles du colonisateur). Si le résultat des urnes était défavorable à un leader, il était tentant pour lui de refuser ce verdict, en se réclamant d'une fraction régionale, ethnique ou religieuse de la population et en cherchant alors à provoquer une partition de l'ancienne colonie, ou tout simplement en recourant à l'usage de la force. C'est ainsi sans doute qu'il faut expliquer la partition de l'Inde et du Pakistan où les oppositions religieuses ont été exacerbées notamment par l'intransigeance de la Ligue musulmane qui aurait été minoritaire dans cette division de l'ancienne colonie. Au Congo mais aussi au Rwanda et au Burundi, certains mouvements politiques parfois sécessionnistes s'appuieront sur des différences ethniques, qui préexistaient sans doute mais qui ont alors été artificiellement gonflées, pour acquérir une légitimité ou un soutien populaire (même si ce n'était que d'une fraction limitée de la population) pour accéder au pouvoir. Enfin, l'on ne s'étonnera pas que, dans nombre de pays fraîchement décolonisés, ce sont des militaires qui ont finalement confisqué le pouvoir, la force armée étant évidemment l'instrument le plus facile pour une telle conquête (pour autant que cette armée ne soit pas elle-même en révolte). C'est évidemment le cas du Congo où c'est le chef de l'armée, le colonel Mobutu qui est finalement parvenu à sortir militairement vainqueur des troubles et des tentatives de sécession que connaissait le pays.

3. Le conflit est/ouest et les interventions extérieures

Les querelles internes à chaque pays, dégénérant parfois en violences meurtrières, ont par ailleurs été aggravées dans de nombreux cas par des facteurs externes dont le plus important fut la rivalité entre les États-Unis et l'URSS, ou plus largement entre l'Est et l'Ouest, ces grandes puissances concurrentes n'hésitant pas à intervenir directement ou indirectement dans les pays fraîchement décolonisés en soutenant les fractions, les partis ou les hommes qui leur semblaient le plus favorables à leur camp ou répondant le mieux à leurs intérêts politiques, stratégiques ou économiques. C'est au Viêt-nam que ce jeu d'influences se manifesta de la façon la plus claire mais aussi la plus violente puisque le Sud obtint pendant près de vingt ans le soutien militaire et logistique des Américains dans une guerre de plus en plus acharnée tandis les Nord-Vietnamiens recevaient quant à eux une aide matérielle importante de la Chine et surtout de l'URSS. La situation fut pratiquement inverse en Angola où le MPLA au pouvoir d'inspiration marxiste fut confronté depuis l'indépendance à une guérilla menée par l'UNITA appuyé par les Occidentaux et l'Afrique du Sud: outres les armes et le matériel militaire en provenance d'URSS, le MPLA reçut l'aide d'un fort contingent de soldats cubains qui ne parvinrent pas cependant à mettre un terme à la guerre civile. On remarquera d'ailleurs que ces interventions extérieures ont souvent été sollicitées par les acteurs sur le terrain dont les considérations étaient parfois loin d'être purement idéologiques: ces dirigeants confrontés à de multiples difficultés ont souvent hésité avant de choisir l'un ou l'autre «protecteur» dont l'aide impliquait d'ailleurs de multiples contreparties. Au Congo aussi, les interventions extérieures furent multiples, particulièrement américaines: les richesses notamment minières du pays en faisaient un enjeu stratégique, et les États-Unis décidèrent rapidement de soutenir Mobutu qui leur paraissait le plus favorable à leurs intérêts, tandis que le premier ministre Lumumba, confronté aux déchirements du pays, tenta d'abord de convaincre (inutilement) les États-Unis de l'aider militairement avant de faire appel à l'URSS, ce qui provoqua sa chute, sans doute orchestrée, comme on le voit dans le film de Raoul Peck, par les Américains. (L'hostilité des Américains à l'égard de Lumumba immédiatement perçu comme «communiste» était telle que la CIA envoya un de ses scientifiques, le docteur Sidney Gottlieb, au Congo pour l'assassiner au moyen d'un virus mortel! Cette action fut néanmoins un échec.)

Par ailleurs, il faut souligner le rôle des anciens pays colonisateurs qui, après avoir accordé l'indépendance, ont toujours essayé de maintenir une influence sur leurs anciennes colonies et de préserver en particulier ce qu'ils considéraient comme leurs intérêts économiques. Dans un certain nombre de cas, cette ingérence a d'ailleurs conduit à de véritables interventions militaires comme en Égypte en 1956 où la Grande-Bretagne et la France ont voulu empêcher par la force la nationalisation du canal de Suez décrétée par Nasser (cette intervention se conjuguant d'ailleurs avec l'action des Israéliens en guerre pour la deuxième fois avec l'Égypte). Au Congo également, les Belges ont cherché à conserver leurs avantages économiques à travers leurs participations financières dans les principales compagnies du pays (sociétés minières, régies d'eau et d'électricité, sociétés de transport) pour un montant estimé en 1960 à 37,5 milliards de francs belges alors que le budget ordinaire du pays s'élevait alors à 11 milliards: ce «portefeuille» fit évidemment l'objet de nombreuses contestations et resta finalement au Congo après une convention passée avec la Belgique en 1964. Mais la Belgique intervint également à plusieurs reprises militairement bien que de façon limitée, en 1960, en 1964 et en 1978 (avec la France), officiellement pour protéger ses ressortissants restés sur place et menacés par les troubles: ces interventions ne pouvaient évidement pas rester neutres et jouèrent nécessairement en faveur de l'une ou de l'autre des factions en lutte. En 1960, la présence des forces belges favorisa en particulier la tentative de sécession du Katanga à laquelle le gouvernement de Lumumba n'avait pas les moyens de répondre: comme le montre le film de Raoul Peck, cet épisode fut une des causes majeures de l'instabilité qui marqua le début de l'indépendance du Congo.

Enfin, un dernier acteur joua un rôle non négligeable dans le processus d'indépendance, à savoir l'ONU (l'Organisation des Nations Unies, fondée en 1945) dont la majorité des membres était hostile à la colonisation: c'était évidemment le cas des anciennes colonies qui accédaient l'une après l'autre à l'indépendance et qui devenaient membres de l'Organisation, mais aussi de l'URSS et des États-Unis, l'URSS au nom de l'anti-impérialisme (défini comme stade suprême du capitalisme) et les États-Unis au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et du libéralisme économique (il ne faut pas oublier que les États-Unis furent à l'origine une colonie britannique qui n'obtint son indépendance qu'à la suite de la guerre et en a gardé une vive opposition au colonialisme européen). L'ONU dont les moyens sont sans doute limités condamna par exemple l'occupation en 56 du canal de Suez par la France et la Grande-Bretagne; plus tard, lors de la crise congolaise, elle envoya à la demande de Lumumba des troupes (les «casques bleus») en 1960 au Congo pour faire face à la sécession du Katanga qui ne fut finalement réprimée qu'en janvier 1963.

4. Le Congo, une histoire spécifique

L'indépendance du Congo s'inscrit donc dans le mouvement général de décolonisation qui s'est développé rapidement après la seconde guerre mondiale. Mais il faut également prendre en considération certains facteurs spécifiques de l'histoire congolaise pour comprendre l'évolution de l'ancienne colonie belge à partir du 30 juin 1960.

Au Congo plus que dans d'autres colonies, la population indigène est restée cantonnée jusqu'en 1960 aux postes subalternes, que ce soit dans les administrations, l'armée ou les affaires qui sont exclusivement dans les mains des Blancs. Si cette population est largement scolarisée, cet enseignement dépasse rarement le niveau primaire, seule une petite minorité accédant au niveau secondaire et quelques individus à peine à l'université. Ainsi, dans l'armée (qu'on appelle la Force publique), tous les hommes de troupe sont Noirs alors que la plupart des sous-officiers et pratiquement tous les officiers sont blancs, situation qui perdurera d'ailleurs après la proclamation d'indépendance. Enfin, de manière générale, cette subordination aussi bien au niveau de la scolarité que des emplois accessibles est redoublée par un racisme paternaliste qui considère les Noirs comme de grands enfants incapables, sinon dans un futur lointain, d'autonomie et de responsabilité.

Du point de vue des Noirs, cette situation entraînera une grande amertume et un grand ressentiment, longtemps restés masqués mais qui, aux lendemains de l'indépendance, expliquent sans doute des revendications multiples (notamment dans l'armée) mais aussi des tentatives de revanche qui prendront d'ailleurs des formes violentes (et inexcusables) au moment des troubles (brutalités, exactions, viols notamment d'épouses d'officiers, etc.). Par ailleurs, l'absence de formation de la population noire explique les difficultés d'administration que connaîtra le pays après le départ ou la fuite d'un grand nombre de Blancs: les cadres congolais étaient alors en trop petit nombre pour pouvoir remplacer les partants et faire fonctionner les réseaux complexes d'une hiérarchie administrative.

Une deuxième caractéristique importante de la situation congolaise était évidemment l'étendue du pays ainsi que sa diversité régionale: la province du Katanga notamment cultivait depuis longtemps le sentiment de sa particularité, en particulier chez les colons, à cause de son rôle économique essentiel dû à ses richesses minières. C'est ainsi qu'est apparue une coalition d'intérêts entre des Belges intéressés seulement par l'exploitation de ces richesses minières et des hommes politiques katangais désireux de ne pas partager le fruit de ces richesses avec l'ensemble du Congo. La faiblesse du pouvoir central de Lumumba, qui fut immédiatement confronté à la rébellion de la Force publique, a alors permis la sécession du Katanga (à partir du 11 juillet 1960) sous la direction de Moïse Tschombé soutenu de manière à peine voilée par la Belgique. Quelques mois après, la même collusion d'intérêts apparut dans une autre région riche en diamants, le Sud-Kasaï qui se déclara indépendant quelques semaines plus tard (le 8 août).

5. Les événements

C'est dans le contexte général dont on a rappelé les points essentiels qu'il faut à présent replacer les événements qui ont marqué l'indépendance du Congo.

a. Avant l'Indépendance

Alors que de nombreuses autres colonies étaient déjà plongées dans les luttes pour l'indépendance, le Congo semblait au début des années 50, aux yeux des autorités belges, tout à fait calme et paisible. À la faveur d'élections locales, plusieurs personnalités politiques congolaises vont cependant émerger au cours de la décennie, en particulier Joseph Kasa-Vubu, Patrice Lumumba ou Moïse Tschombé (ce dernier représentant du Katanga) qui vont essentiellement s'exprimer au niveau idéologique (à travers notamment des manifestes et des journaux), le système colonial ne leur permettant pas d'accéder à un véritable pouvoir. Dans le contexte général de décolonisation, l'effervescence des esprits est cependant bien réelle. En août 58 par exemple, le général de Gaulle en visite à Brazzaville en face de Léopoldville (de l'autre côté du fleuve Congo) offre aux colonies françaises d'Afrique noire le choix de l'indépendance: comment les premiers intellectuels et hommes politiques congolais n'auraient-ils pas été sensibles à un tel appel?

C'est dans ce contexte que l'interdiction d'une réunion politique le 4 janvier 1959 provoque de graves émeutes à Léopoldville qui seront réprimées dans le sang par la Force publique: on dénombrera officiellement 42 morts, tous Congolais, et 250 blessés. Ces événements ébranleront fortement les autorités belges qui comprennent alors que la marche à l'indépendance est inéluctable (ils ont d'ailleurs sous les yeux l'exemple de la France qui est empêtrée en Algérie dans une guerre coloniale cruelle et de plus en plus impopulaire aux yeux des Français). Le 13 janvier, le roi Baudouin fait une déclaration où il affirme sa résolution de conduire le Congo à l'indépendance «sans atermoiements funestes mais sans précipitation inconsidérée». Dès lors, les autorités belges vont mettre sur pied une table ronde avec les principaux représentants des différents mouvements politiques du Congo: manquait cependant Patrice Lumumba, emprisonné, mais dont les membres de la délégation congolaise exigèrent la libération et qui, finalement libéré, arriva avec retard à Bruxelles. Cette table ronde fixa la date de l'indépendance au 30 juin 1960 et les premières décisions concernant l'organisation future de l'État congolais dont la loi fondamentale fut proclamée en mai 1960.

Restait à organiser les premières élections dont le MNC (Mouvement National Congolais) de Patrice Lumumba sortit largement vainqueur devant notamment l'ABAKO (Association des Bakongo, à l'assise régionale) de Joseph Kasa-Vubu, puis à former le premier gouvernement de la nouvelle république qui fut le résultat d'un compromis entre ces deux formations: Kasa-Vubu est élu chef de l'État tandis que Lumumba devient premier ministre et chef du gouvernement.

b. De l'indépendance jusqu'à la chute de Lumumba

L'indépendance fut évidemment fêtée dans la joie et la liesse dans la population congolaise, mais, quatre jours après (à partir du 4 juillet), les premiers troubles surgissent dans la Force publique où des soldats congolais mécontents de l'absence totale d'africanisation des cadres de l'armée se rebellent et arrêtent, dans certains camps militaires, les officiers et sous-officiers belges. Les troubles s'étendent d'une ville à l'autre, l'anxiété des anciens colons belges est à son comble, les rumeurs les plus folles se mettent à circuler, les soldats congolais craignent eux une intervention des paras belges (qui sont restés stationnés au Congo), même si plusieurs membres du gouvernement congolais s'efforcent de parlementer avec les insurgés et de rassurer les Belges.

Le gouvernement belge ordonne alors à ses troupes d'intervenir pour protéger ses ressortissants sans demander, comme c'était prévu par traité, l'autorisation du gouvernement congolais. En outre, au-delà de la protection des personnes, les soldats belges interviennent de façon massive et agissent en vue d'une remise en ordre générale notamment (au port de Matadi où il ne reste pratiquement plus d'Européens), alors qu'au même moment le président Kasa-Vubu et son premier ministre Patrice Lumumba entreprennent une tournée dans les principales villes du pays pour essayer de rétablir l'ordre par la négociation. Cette intervention belge jugée excessive entraînera la rupture des relations diplomatiques entre les deux pays le 14 juillet. L'affaire sera évoquée aux Nations Unies qui imposeront le remplacement des troupes belges par des «casques bleus» dont l'intervention maladroite fut très peu efficace et dont les responsables refusèrent de se mettre au service du gouvernement congolais.

L'État congolais était en effet confronté au même moment à une crise beaucoup plus profonde, provoquée le 11 juillet par la sécession du Katanga sous la direction de Moïse Tschombé (aidé par des Belges et des mercenaires européens), bientôt suivie par celle du Sud-Kasaï le 8 août. Dépourvu de moyens militaires, ne disposant pas du soutien des «casques bleus», Lumumba décida néanmoins d'utiliser l'armée pour réprimer ces deux sécessions. Mais l'offensive lancée à partir du 22 août fut un échec faute de logistique, de matériel et de moral des troupes, et surtout elle se transforma au Kasaï en un bain de sang et en un massacre généralisé des autochtones (dans le film, cette violence est attribuée à Mobutu et provoque une rupture entre celui-ci et Lumumba).

Pressions intérieures et extérieures se multiplièrent alors sur le président Kasa-Vubu qui finit le 5 septembre par démettre son premier ministre, décision que celui-ci jugea inconstitutionnelle si bien qu'à son tour il déclara destituer le président. La crise des institutions était totale, même si le pays ne sombra pas dans la guerre civile, et le colonel Mobutu en profita pour «neutraliser» les institutions politiques. Placé en résidence surveillée à Léopoldville, Lumumba s'enfuit le 27 novembre vers Stanleyville où étaient regroupés ses partisans et d'où il espérait sans doute reconquérir le pouvoir. Mais il fut arrêté en cours de route puis emprisonné à Thysville (tout près de Léopoldville). Entre-temps, Kasa-Vubu, bénéficiant du soutien de Mobutu, put reprendre ses fonctions et entreprit des négociations pour régler le problème de la sécession katangaise au cours d'une table ronde. L'instabilité politique était pourtant toujours aussi grande, et c'est dans ce climat dramatique que le gouvernement prit la décision de transférer Lumumba au Katanga chez ses pires ennemis! Le 17 janvier 1961, il fut transféré par avion à Élisabethville avec deux autres de ses partisans Maurice Mpolo et Joseph Okito. Torturés à de multiples reprises, ils furent exécutés le jour même dans des conditions qui ne sont pas toujours éclaircies. Cette mort suscita en tout cas une très grande émotion notamment dans les pays du Tiers Monde où se produisirent plusieurs manifestations dirigées contre la Belgique, les États-Unis et l'ONU.

c. De la division à la prise de pouvoir de Mobutu

La mort de Lumumba ne signifiait cependant pas la fin des troubles au Congo. Le pouvoir central à Léopoldville restait toujours aussi faible et était incapable de mettre fin à la sécession katangaise. Les partisans de Lumumba (réunis autour d'Antoine Gizenga) étaient également très actifs notamment dans la région de Stanleyville où ils formèrent un gouvernement provisoire. Un gouvernement de réconciliation finit par émerger en août 1961 qui, après de nombreuses tergiversations et péripéties, obtint l'aide militaire de l'ONU pour mettre fin à la sécession katangaise, ce qui fut fait en janvier 63.

Le gouvernement central apparaissait cependant de plus en plus influencé par les pays occidentaux, et une fraction radicale du clan lumumbiste (menée par Pierre Mulele) se lança dans une rébellion ouverte en s'inspirant directement de la stratégie de guérilla maoïste. Après plusieurs succès de cette guérilla au cours de l'été 64, une nouvelle intervention militaire belge, appuyée cette fois par les Américains, mit fin avec une grande brutalité à ces tentatives révolutionnaires qui s'étaient également signalées par leur caractère violent et sanguinaire.

L'unité du pays était sans doute rétablie mais apparaissait fort fragile menacée notamment par une grande instabilité politique, et, en novembre 65, le général Mobutu, chef de l'armée, s'empara du pouvoir par un coup d'État, et, devenu président, établit le règne du parti unique, musela toute opposition et se maintint au pouvoir jusqu'en 1997.


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