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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Traffic
de Steven Soderbergh
USA, 2000, 2h25

Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Traffic avec leurs élèves (entre quinze et dix-huit ans environ). Ils contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en oeuvre en classe après la vision du film.

La structure du film

Traffic de Steven Soderbergh se présente immédiatement comme un film original, en particulier du point de vue de sa narration qui est éclatée entre plusieurs récits se déroulant en différents lieux et mettant en scène un grand nombre de personnages. Est-il alors possible de reconstruire la structure d'ensemble du film, de se représenter de manière cohérente ce qui se présente de prime abord de façon fragmentée et dispersée? Et comment en particulier peut-on relier les différentes histoires mises en scène? Ces histoires sont-elles indépendantes les unes des autres ou bien sont-elles porteuses d'une signification commune plus ou moins implicite?

La question de la structure du film débouche ainsi rapidement sur celle de sa signification.

Objectifs

  • Prendre une vue d'ensemble du film
  • Réfléchir de façon approfondie sur la signification du film

Méthode

  • Construire une représentation graphique d'ensemble du film
  • À partir de cette représentation graphique, trouver les points de ressemblance mais aussi les différences entre les principaux épisodes filmiques

Déroulement et commentaires

Construire un graphique

Plutôt que de lancer une discussion générale sur le film, il peut être intéressant de proposer aux jeunes spectateurs (qui seront sans doute âgés de plus de quinze ans) de construire une représentation graphique du film. Une telle représentation peut avoir une valeur heuristique car elle suppose, pour être menée à bien, que l'on dégage des traits pertinents permettant à la fois de rassembler un grand nombre d'éléments filmiques mais également de les opposer en grands ensembles suffisamment cohérents.

Les participants pourraient donc être invités à réfléchir individuellement ou en petits groupes sur la manière de construire un tel graphique à partir d'un principe simple (à définir par eux-mêmes), puis ensuite à essayer de complexifier cette représentation pour y inscrire un maximum d'éléments. Après ce premier travail de réflexion et des premiers brouillons, on pourra comparer les différentes propositions et éventuellement les retranscrire au tableau.

Sans préjuger des résultats de ce travail, on s'apercevra facilement que certains critères par exemple de temps se révèlent (au moins dans un premier moment) peu pertinents pour construire une représentation d'ensemble du film (en revanche, le critère de temps pourrait être tout à fait pertinent pour l'analyse d'un film comme le célèbre Citizen Kane d'Orson Welles). Assez naturellement sans doute, les participants s'orienteront vers le critère de lieu puisque les événements se déroulent dans trois «espaces» différents qui se signalent en outre par un traitement de la couleur différent et fortement marqué: les événements qui se passent au Mexique se caractérisent par une forte surexposition avec une dominante jaune très accentuée, tandis que les séquences dans l'est des États-Unis (à Cincinnati et à Washington) apparaissent dans une ambiance froide et bleutée [1] et que celles en Californie (à San Diego) semblent les plus «naturelles» bien qu'elles soient fortement saturées [2], ce qui peut se justifier par la présence du soleil dont la source focalisée donne de telles teintes (on peut remarquer néanmoins beaucoup de «taches» rouges ou orangées).

Ensuite, il est relativement facile de répartir les personnages en fonction de cette répartition géographique, le juge Wakefield et sa famille séjournant dans l'Est, les policiers de la DEA agissant à San Diego et les mexicains à Tijuana ou dans les environs. Néanmoins, l'on se souviendra certainement que certains personnages voyagent et passent d'un lieu à l'autre (dans la même région comme le juge Wakefield qui fait la navette entre Washington et Cincinnati), ou bien d'une des trois grandes «régions» du film à l'autre: ce sera aux participants d'essayer de se rappeler tous ces passages qui permettront de complexifier le schéma de départ.

Par ailleurs, de nombreux personnages habitent chaque «région». Les deux policiers mexicains ne sont évidemment pas seuls à Tijuana, et il conviendra sans doute de préciser graphiquement (par exemple en dessinant des ensembles de différentes couleurs) les relations que l'on peut observer entre les multiples personnages qui apparaissent dans un même «lieu»: concurrence, alliance, méfiance, agression, exploitation, séduction? Même si l'ensemble de ces relations constitue un véritable écheveau, on devrait pouvoir dégager quelques lignes de force qui expliquent que le spectateur parvienne néanmoins à suivre l'ensemble du film sans trop de difficultés.

Enfin, il faudra tenir compte de l'évolution de ces relations au cours du temps avec par exemple la disparition de certaines figures, le renversement d'alliances ou au contraire le rapprochement de personnages d'abord éloignés.

Comprendre le film, appréhender le point de vue de l'auteur

Cette représentation graphique qui pourra varier selon les groupes et les participants permettra sans doute de dessiner la «structure» d'ensemble du film, de dégager les relations principales qui se nouent entre ses différents éléments (personnages et événements notamment), mais elle risque également d'apparaître comme une coquille vide, un «squelette» qui résume peut-être le film mais n'en saisit pas véritablement la signification. Il faut en effet essayer de comprendre le pourquoi de cette «structure», le sens même de cette «géographie» si particulière du film: pourquoi le réalisateur a-t-il choisi cette forme originale, organisée autour de trois pôles principaux? quelle «vision» ou quel point de vue traduit cette «structure» du film, à savoir ce souci de mélanger plusieurs intrigues, de multiplier les personnages et les lieux, de passer continuellement d'un lieu à l'autre, d'un «bord» à l'autre du trafic de drogue?

Il ne s'agit donc plus ici seulement de décrire le film mais de l'interpréter en se situant au niveau de son auteur dont on va essayer même si c'est de façon hypothétique de reconstituer les intentions. Pour guider cette réflexion, on peut suggérer aux participants réunis de préférence en petits groupes de discussion de rechercher les points communs entre les intrigues principales du film: sans doute, tous les épisodes mis en scène évoquent la drogue ou son trafic, mais, au-delà de cette thématique évidente, est-il possible de dégager des points communs dans les différents parcours individuels ou chez les différents personnages? On insistera à ce propos sur la dimension temporelle des différents récits, dimension qui ne sera sans doute apparue qu'à la dernière étape de la construction du graphique: que nous apprend le parcours du juge Wakefield? que doit-on conclure de l'histoire de Javier? et que faut-il penser de madame Ayala devenue pourvoyeuse de drogue pour sortir son mari de prison? pourquoi le réalisateur (ou ses scénaristes) a-t-il choisi de mettre en scène ces épisodes et non pas d'autres?

Pour faciliter ce travail de réflexion, on peut suggérer aux participants de rechercher d'abord les analogies entre les principales histoires racontées dans Traffic et qui auront sans doute été dégagées par le graphique réalisé précédemment: il s'agit entre autres du Juge Wakefield, des deux policiers mexicains, Javier et Manolo, de madame Ayala, des deux enquêteurs de la DEA chargés de protéger le témoin Eduardo Ruiz.

On peut ainsi relever:

  • la violence de ces récits;
    les personnages en sont souvent les victimes (Manolo, le policier de la DEA qui meurt dans l'explosion de la voiture piégée) mais aussi parfois les instruments (Javier servant Salazar) ou les commanditaires (madame Ayala); on se souviendra notamment que, lorsque le juge Wakefield se retrouve face au trafiquant qui fournit de la drogue à sa fille, il est confronté à une violence qui le réduit à l'impuissance et qui est générale dans ce milieu «hors la loi»;
  • le mensonge qui règne entre les personnages;
    le mensonge est une conséquence évidente de l'illégalité du trafic de drogue, mais on remarquera qu'il dépasse le cadre de ce trafic et déborde sur la vie familiale et sociale: la fille du juge Wakefield ment à son père de façon générale, mais, en même temps, les jeunes avec qui elle consomme de la drogue se plaignent de l'hypocrisie ambiante, du mensonge qui règne dans la société;
  • la découverte du mensonge et la modification du point de vue;
    les différents récits de Traffic conduisent tous à une découverte qui équivaut à un dévoilement, à une fin brutale des illusions: Wakefield se rend compte que sa fille, loin de l'admirer, se drogue et sans doute le méprise; il avouera bientôt lors d'une conférence de presse qu'il ne croit plus au combat qu'il est censé mener; Javier découvre lui que le général Salazar qui mène la guerre anti-drogue joue le jeu d'un cartel concurrent; madame Ayala, qui pensait quant à elle mener une vie bourgeoise à San Diego, apprend soudainement que son mari est un gros trafiquant, et elle est amenée rapidement à prendre sa place.

On remarquera que ces analogies entre différentes situations n'effacent pas les différences: on passe d'un milieu à l'autre, du sommet de la hiérarchie politique aux policiers de base, de l'univers policier à celui des trafiquants, des États-Unis au Mexique Le film en particulier ne choisit pas son camp et, si les trafiquants sont montrés dans leur brutalité, le film révèle également les illusions du combat mené par l'administration américaine quand elle parle de «guerre à la drogue».

De ce point de vue, les dialogues entre les deux policiers de la DEA et le trafiquant Eduardo Ruiz (qu'ils sont chargés de protéger en tant que témoin) sont particulièrement troublants: ce dernier, loin d'être antipathique, se présente finalement comme un simple commerçant, et il expose aux policiers la vanité de leur combat puisque, loin d'arrêter le trafic, leur action limitée à quelques interventions ponctuelles ne fait qu'accroître la concurrence et la violence entre trafiquants. Si le film ne prend évidemment pas le parti des trafiquants (ou même de certains petits trafiquants comme les passeurs qui agissent essentiellement pour des raisons économiques), il souligne néanmoins la complexité du phénomène et ses multiples ambiguïtés, ce dont témoigne en particulier la démission spectaculaire du juge Wakefield qui avoue ne plus croire à son propre discours.

Le propos du réalisateur est donc loin d'être simple et son point de vue ne se confond sans doute avec celui d'aucun des personnages. On pourrait sans doute dire que son film invite surtout les spectateurs à parcourir un chemin similaire à celui des principaux protagonistes de Traffic, c'est-à-dire à prendre conscience de notre vision partielle des choses (en particulier du phénomène de la drogue), à nous défaire de certains discours simplificateurs ou réducteurs, et peut-être à découvrir des réalités plus complexes sinon plus sombres que prévues.

Pour terminer, on pourra demander aux participants de se souvenir des trois scènes qui concluent le film et qui correspondent aux trois «régions» définissant la géographie du film:

  • le policier de la DEA, Montel Gordon, va provoquer Carlos Ayala chez lui et profite de la bagarre pour installer un micro en dessous d'une table[3];
  • à une séance de thérapie de sa fille, le juge Wakefield se présente aux participants et en affirmant seulement que sa femme et lui sont là «pour écouter»;
  • Javier assiste à un match de base-ball qui se déroule en nocturne: c'était le prix demandé par Javier aux Américains pour obtenir des informations sur le trafic au Mexique.

Aucune de ces scènes n'est une scène de victoire; toutes se présentent plutôt comme des fins ouvertes, mais l'on peut sans doute y voir une forme d'obstination individuelle, une volonté de poursuivre un travail entrepris même si son issue est incertaine. S'affirme ainsi la croyance en l'individu en un individu obstiné et volontaire face aux déclarations et aux discours trop sentencieux, trop sûrs d'eux-mêmes.


[1] Cette teinte n'est sans doute pas due à l'emploi d'un filtre coloré mais plutôt au recours à un film pour la lumière artificielle (dont la couleur jaunâtre, que notre oeil n'aperçoit plus par un phénomène d'habituation, est compensée par une dominante bleu électrique) en lumière naturelle ou avec un éclairage artificiel possédant des caractéristiques similaires (ce qu'on appelle en termes techniques la température de couleur) à la lumière naturelle.

[2] Une même teinte par exemple le rouge peut présenter une saturation plus ou moins importante en fonction de la quantité plus ou moins importante de gris qu'elle contient: plus cette teinte sera «mélangée» avec du gris, moins elle paraîtra pure, éclatante, «colorée». (On peut se représenter facilement le phénomène de la saturation en imaginant que la surface colorée est composée de tout petits carrés de couleur et d'autres gris répartis de façon uniforme: à distance, la surface apparaîtra homogène mais plus le nombre de carrés gris augmentera aux dépens des carrés colorés, moins la teinte de l'ensemble paraîtra saturée. La saturation ne se confond cependant pas avec la luminosité, car, en augmentant ou en diminuant celle-ci, on passe du noir au blanc. D'une teinte saturée à une désaturation totale, on passe en revanche d'une impression fortement colorée à un gris de même luminosité.)

[3] On remarquera que, si l'histoire qui se passe à San Diego tourne essentiellement autour de madame Ayala, la fin du film rend le premier rôle à Montel Gordon, le policier qui a perdu son équipier dans l'aventure. Malgré tout ce qu'a pu lui dire Eduardo Ruiz, il poursuit son travail obstinément même s'il sait qu'il est sans doute inutile.


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