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Extrait du dossier pédagogique réalisé par les Grignoux
et consacré au film
Joue-la comme Beckham - Bend it Like Beckham
de Gurinder Chadha
Grande-Bretagne, 2002, 1h52

Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Joue-la comme Beckham avec leurs élèves (entre douze et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en oeuvre en classe après la vision du film.

Quelques astuces de scénario

La méprise

On pourra relever quelques méprises dans le film. Ainsi la mère de Teets prend Jules pour un Anglais. À ce moment-là, Jules porte un pantalon et un blouson de cuir. Comme elle a les cheveux courts, son identité sexuelle peut effectivement de loin prêter à confusion. Mais l'attitude radicale de la mère de Teets n'a rien à voir avec l'apparence de la jeune fille. Elle résulte d'un rejet de la conduite de Jess, à qui elle reproche trop de familiarité avec un garçon qui n'appartient pas à la communauté indienne. Si les effets produits sont en partie comiques, ils sont surtout de nature dramatique puisque, suite à cet incident anecdotique, les fiançailles entre Teets et Pinky sont rompues. Grâce à cette scène, on peut mesurer le repli d'une partie de la communauté indienne sur elle-même (ou de certains de ses membres), et son intransigeance quant au respect des règles imposées par la tradition.

Plus tard, la mère de Jules surprend des bribes de conversation entre sa fille et Jess. Préalablement tracassée par une apparence et une conduite qu'elle juge masculines, la mère de Jules interprète immédiatement les quelques paroles qu'elle surprend («C'est fini Bye!») comme étant le résultat d'une dispute amoureuse entre les deux filles. Cette fausse interprétation, aux effets essentiellement comiques, conduira cette femme issue de la bonne société anglaise au bord d'une crise qui n'éclatera vraiment qu'à la fin du film, lorsqu'elle s'en prend directement à Jess en la traitant de lesbienne. Le malentendu est levé immédiatement après, lorsque Jules explique à sa mère que la dispute avait trait à la rivalité née entre elles à propos du coach de leur équipe. Soulagée, la mère de Jules déclare ensuite que l'homosexualité ne la dérange pas. Mais les réactions de ce personnage révèlent l'hypocrisie d'une femme, ouverte et tolérante en apparence mais en réalité façonnée par les idées reçues fortement ancrées dans le milieu social auquel elle appartient.

Enfin, au cours de la scène qui se passe sur le kiosque du parc, Jess demande à Tony de sortir avec elle; tout le monde le croit en effet fou amoureux d'elle. Mais le jeune homme a une révélation à faire: il aime David Beckham et il ne souhaite pas épouser Jess, qu'il considère seulement comme une très bonne copine. Le spectateur comprend alors que l'homosexualité constitue un interdit et représente un véritable sujet tabou au sein de la communauté indienne.

Ces observations suffisent à montrer que Gurinder Chadha a utilisé le procédé de la méprise dans une intention particulière: pointer les représentations et préjugés courants en matière d'identité sexuelle et de relations amoureuses à l'intérieur des deux types de communautés décrites dans le film.

La coïncidence

Au niveau des événements, on retiendra surtout la coïncidence qui induit le climax du film: la finale du tournoi de football a lieu en même temps que le mariage de Pinky. Cette situation cornélienne place Jess devant un dilemme déterminant pour son avenir: va-t-elle rompre définitivement avec les traditions et sa famille pour tenter sa chance? ou au contraire va-t-elle leur rester fidèle et se résigner à l'avenir qui l'attend (se marier avec un Indien, faire des études d'avocat )? Dans ce cas, la réalisatrice a utilisé la coïncidence pour créer une intensité dramatique maximale.

Un peu de la même façon, mais à un degré moindre, une certaine tension s'installe lorsque le père de Jess découvre dans le journal l'annonce du match à Hambourg et la photo de l'équipe locale qui va disputer la rencontre avec, au premier plan, sa propre fille qu'il croit en visite dans la famille. Cette découverte a lieu précisément au moment où son épouse passe un coup de fil sur le portable de Jess, qui lui confirme que tout se passe bien chez les cousins (alors qu'en fait, elle est en train de s'apprêter pour une soirée en Allemagne). Une autre coïncidence facile à remarquer est la présence simultanée à l'aéroport de Jess et de son idole, David Beckham. Au moment où il rentre de l'étranger, Jess, elle, va partir, un peu comme si elle prenait le relais de la star, comme si son rêve d'identification au joueur prenait forme, d'une certaine façon. (Et puis, bien sûr, cette coïncidence lui permet d'embrasser discrètement son entraîneur quand tous les autres ont les yeux fixés sur David Beckham).

Au niveau des caractéristiques de personnages, on s'attachera d'abord à la relation qui évolue entre Jess et son entraîneur. Une complicité s'établira progressivement entre les deux jeunes gens grâce à un certain nombre de coïncidences. De la façon la plus visible, tous deux portent une vilaine cicatrice à la jambe. Ce détail physique est l'occasion d'un premier contact privilégié entre Joe et la nouvelle joueuse de son équipe. Ceux-ci ont par ailleurs la même tendance à se surpasser physiquement en faisant fi de leurs blessures. Par fierté, Jess se force à effectuer cinq tours de terrain en courant malgré la foulure qui handicape sa cheville. C'est l'occasion pour Joe de faire une confidence: son père l'a toujours considéré comme un grand faible; c'est pour l'épater qu'il a joué blessé et qu'il a perdu en partie l'usage de son genou. Il rappelle combien il est important de ne pas aller au-delà de ses limites. On notera encore qu'ils ont tous les deux des ambitions qui paraissent hors de portée à première vue: devenir entraîneur de l'équipe masculine pour l'un, devenir footballeuse professionnelle pour l'autre, ce qui les amène à se comprendre et à s'encourager mutuellement. Enfin, ils sont tous deux d'origine immigrée et ont subi pour cette raison des humiliations identiques. Ainsi, lorsque Jess dit à Joe qu'il ne peut pas s'imaginer ce que cela fait d'être traitée de «Paki», Joe répond qu'il peut très bien comprendre car il est lui-même d'origine irlandaise. Pour amorcer la relation entre ces personnages, Gurinder Chadha a donc choisi de les construire sur base d'un certain nombre de coïncidences susceptibles de favoriser un rapprochement, comme elle le fait par ailleurs pour rapprocher Jess de son père.

Dans leur cas, on remarque tout d'abord un terrain commun: la performance sportive. Si Jess se montre très douée pour le football, son père était quant à lui un joueur de cricket de haut niveau1. De surcroît, tous deux ont vécu les mêmes humiliations. En effet, lors de la demi-finale, Jess se fait traiter de «sale Paki» par une fille de l'équipe adverse. La scène se passe sous les yeux de son père, venu assister au match à l'insu de tout le monde. Plus tard, il fera part du racisme dont il a été lui-même victime en arrivant en Angleterre, exclu des grandes équipes à cause de son turban. Ces ressemblances et ces affinités expliquent donc la tolérance de ce père plutôt traditionaliste vis-à-vis du parcours atypique de sa fille.

Le leurre

Joue-la comme Beckham s'ouvre sur un leurre: Tandis que le générique défile sur un fond noir, on entend en voix off le commentaire d'un match de football et les ovations du public. On voit ensuite les images du terrain et d'un stade comble. David Beckham entame une action intéressante. «Et elle marque!», poursuit le commentateur, «But de Jess Bhamra!». Sur la pelouse, on voit Jess parmi les autres joueurs. Le spectateur croit donc que le film débute dans un stade où se déroule un match important, et que Jess participe à la rencontre. Il comprend également qu'il s'agit d'une très bonne joueuse, qui fait la une des médias. Sur un plateau de télévision en effet, on présente la jeune fille comme la joueuse du futur. On interviewe sa mère à l'antenne. Loin d'être ravie, celle-ci somme sa fille d'arrêter tout ça. Juste après, on voit cette femme entrer brusquement dans la chambre de Jess. Elle est venue lui rappeler que sa soeur l'attend pour aller faire des courses, critiquant au passage le fait qu'elle soit encore en train de regarder du foot. La transition entre les deux scènes s'opère grâce à ce qu'on appelle un «montage sec à effet». C'est seulement à ce moment-là que le spectateur réalise ce qui se passe: Jess suit une rencontre à la télévision, rencontre dans laquelle elle se projette imaginairement aux côtés (ou à la place) de David Beckham. Les effets produits sont ici bien sûr des effets de surprise.

L'implant

Il y a dans le film quelques plans du ciel traversé par un avion. Ces courts plans n'ont rien de particulier en soi: Jess et sa famille vivent à proximité d'un aéroport, et il est par conséquent normal que le quartier soit survolé par des avions. A posteriori pourtant, ces implants peuvent prendre une signification en rapport avec l'évolution de la destinée de Jess.

Revenons sur les moments de l'histoire où ils ont été insérés.

Jess avoue à ses parents qu'elle vient d'être admise dans une équipe de filles. Sa mère, qui craint pour l'honneur de la famille à quelques jours du mariage, s'y oppose. Son père confirme: «Tu dois te comporter en femme!», dit-il. Jules va ensuite trouver Jess et lui dit qu'il ne faut pas toujours écouter ses parents. Elle l'incite à venir s'entraîner pendant les vacances en prétextant un job d'été. Le plan de l'avion précède la séquence qui suit immédiatement après, celle qui montre sur un rythme cadencé l'entraînement heureux et clandestin de Jess. Cet avion qui traverse le ciel, c'est donc un peu le signe d'un départ, d'une libération et d'un éloignement symbolique.

Le deuxième implant arrive beaucoup plus tard. L'avion passe dans l'autre sens, comme si la réalisatrice avait voulu signifier la fin du rêve, un retour sur terre et au sens des réalités. Cette interprétation peut être légitimée par la situation dramatique dans laquelle ce plan s'inscrit: Jess vient d'apprendre que le mariage de sa soeur se déroulera le même jour que la finale, situation qui annule tout espoir d'y participer. La scène qui suit le plan du ciel confirme le retour à sa destinée initiale: elle reçoit une lettre annonçant qu'elle a réussi ses examens. Elle sera donc une grande avocate. Résignée, elle va étendre du linge dans le jardin.

Un peu plus tard, des courtes séquences d'entraînement alternent avec les préparatifs du mariage. Un plan du ciel vide vient souligner le coup d'arrêt porté à l'élan, à «l'envolée» de Jess. Même la visite de Joe, qui vient annoncer qu'un recruteur américain sera là et que «ce sera la chance de sa vie pour Jess», n'a apparemment aucun impact sur la décision du père. Ainsi, la situation semble définitivement bouchée, sans issue pour la jeune fille, jusqu'au moment où elle reçoit son autorisation pour jouer la seconde mi-temps.

Un plan rapproché d'un avion survolant le quartier vient alors souligner cette nouvelle espérance, précédant la scène où Tony conduit Jess au stade. L'équipe remporte la victoire grâce à un coup franc de Jess, dont le jeu a été remarqué par le recruteur. Elle-même et Jules sont invitées à s'entraîner aux États-Unis pour y devenir joueuses professionnelles. Le père accepte de la laisser partir.

Vient alors le gros plan d'un avion décollant face à la caméra. Si on le compare aux implants précédents, on comprend qu'au-delà de l'imminence du départ, il indique que le rêve de Jess est en train de se rapprocher, de se concrétiser.

Globalement, on peut interpréter ces implants «insignifiants» en soi comme autant de signes émotionnellement chargés, traduisant les états d'âme de Jess selon les diverses circonstances - heureuses et malheureuses - de son parcours.


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