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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
La Jeune Fille à la perle - Girl with a Pearl Earring
de Peter Webber
Grande-Bretagne/Luxembourg/USA, 2003, 1h40

Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film La Jeune Fille à la perle avec leurs élèves (entre treize et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.

Le cinéma, art du mouvement

Comme chacun sait, le cinéma est un art du mouvement, mais la plupart des analyses du cinéma confondent néanmoins l’image fixe et l’image animée: c’est ainsi que nombre d’ouvrages reproduisent des photogrammes (c’est-à-dire des images du film) sur lesquels se concentre l’analyse alors que rien ne prouve que cette «partie» puisse valoir pour le tout. Au contraire, l’on peut penser que cette image isolée n’a jamais été «vue» par le spectateur de cinéma qui n’a eu qu’un vingt-quatrième de seconde (en fait moins) pour la regarder.

Dès lors, l’on peut considérer qu’analyser le cinéma à partir du modèle de l’image fixe (photographie et peinture essentiellement) est une erreur «fondamentale» [1], et qu’il faut d’abord poser dans toute réflexion esthétique sur le cinéma la question du mouvement [2]: or le mouvement ne se perçoit que dans le temps, c’est-à-dire grâce à la mémoire individuelle (à court et à long terme) qui compare continuellement l’image présente à l’image passée mais également future (par exemple lors de l’estimation d’une trajectoire). Ce mouvement ne s’estime d’ailleurs pas uniquement à l’intérieur du plan [3] mais également entre les plans et les séquences: dans un film d’action par exemple, les moments de dialogue seront perçus comme des «temps morts» ou de calme ou d’attente, mais l’impression pourra être très différente dans un film «psychologique». Le mouvement est donc relatif [4] et se perçoit (notamment) en relation avec les différentes parties du film.

Il n’existe cependant pas actuellement de concepts ni d’instruments qui permettent d’analyser le mouvement au cinéma [5]. On en proposera donc ici quelques-uns, très simples, reposant essentiellement sur l’effet produit sur les spectateurs:

  • le mouvement le plus évident est celui des personnages, animaux et objets (véhicules, avions, bateaux, machines...) filmés;
  • ce mouvement (qui peut être faible ou nul) peut être accompagné, contrecarré, doublé, modifié par celui de la caméra: comme lorsqu’on est emmené par un train, il est parfois difficile de déterminer ce qui est en mouvement, par exemple le véhicule sur lequel est posée la caméra ou bien le décor qui défile à l’arrière-plan;
  • le montage des plans crée un mouvement, même s’il est virtuel: lorsque la caméra filme un personnage qui parle, puis par une coupe franche, son interlocuteur qui l’écoute, l’immobilité apparente des deux plans est compensée par le dynamisme du montage qui crée un mouvement imaginaire;
  • on peut distinguer le mouvement local, visible, au niveau d’un plan ou d’une séquence, et le mouvement d’ensemble du film qui est le voyage imaginaire vécu par le spectateur au terme de la projection; bien entendu, ce mouvement peut être nul ou de très faible amplitude;
  • enfin, l’on distinguera également les images fortes d’un film, qui s’impriment dans la mémoire des spectateurs, des autres images qui semblent au contraire disparaître dans le flux mémoriel; paradoxalement, du cinéma comme de la vie, nous gardons plutôt en mémoire des images fixes que des images mouvantes: en ce sens, l’art du cinéma est peut-être de créer de telles «images» suffisamment fortes mais immobiles pour s’imprimer dans notre souvenir.

Dans le contexte des animations proposées ici, les trois premiers points d’analyse sont difficiles à mettre en œuvre dans la mesure où ils supposent un visionnage plan par plan sinon image par image avec des instruments spécialisés comme la visionneuse ou le lecteur dvd. Nous proposons donc de les rassembler en une seule consigne d’analyse. L’ensemble des consignes se réduira donc à trois, et l’on pourra demander aux participants de former autant de groupes qui essayeront de répondre chacun à l’une des questions suivantes:

  • Avez-vous remarqué des mouvements (mouvements de caméra, mouvements de personnages, mouvements de séquence) particulièrement frappants dans la Jeune Fille à la perle?
  • Y a-t-il des images particulièrement mémorables dans ce film? Quelles sont les images qui vous reviennent spontanément à l’esprit et pourquoi vous ont-elles marqués? Sont-elles marquées par le mouvement ou au contraire par une immobilité apparente?
  • Pouvez-vous décrire un mouvement d’ensemble dans la Jeune Fille à la perle, une dynamique générale ou avez-vous eu au contraire l’impression d’un film statique?

Ensuite, les différents groupes seront invités à partager le résultat de leurs réflexions et à les confronter éventuellement aux analyses proposées dans les encadrés ci-dessous (seule l'un des encadrés est reproduit sur cette page WEB).

Un film en mouvement

Peut-on repérer un mouvement d’ensemble dans la Jeune Fille à la perle? De façon évidente, le film est construit sur un aller-retour: Griet part de chez elle pour se rendre chez les Vermeer au début du film, et, à la fin, elle est renvoyée de la maison du peintre et retourne vraisemblablement chez ses parents. Dès le départ, ce «voyage» est présenté comme risqué par la mère de Griet qui recommande à sa fille de se méfier de «leurs prières catholiques».

Le mouvement est donc synonyme de danger, d’effraction, de transgression: dans la maison de Vermeer, on va en effet retrouver la même division de l’espace entre des lieux neutres — la cuisine, la cour... — et des lieux perçus comme dangereux et menaçants. C’est le cas en particulier de l’atelier du peintre dans lequel Griet pénètre pour la première fois: alors que Griet reçoit l’ordre de le nettoyer, la femme et la fille de Vermeer vont rester sur le pas de la porte comme si l’endroit leur était interdit, comme si le lieu était l’antre d’un personnage dangereux — monstre ou Barbe-bleue —. On se souviendra d’ailleurs que, lors de sa deuxième visite, Vermeer surgira dans le dos de la servante en train de laver les vitres, son visage restant dans l’ombre comme un fauve s’apprêtant à sauter sur sa proie.

Cet atelier «menaçant» est situé à l’étage alors que Griet va d’abord loger dans la cave: une scène pleine d’ambiguïté va ensuite amener Griet à monter à l’étage, plus exactement dans le grenier qui surplombe sans doute l’atelier et où elle va préparer les couleurs avec le peintre. (Cette scène est provoquée par l’autre servante Tanneke qui se plaint d’être dérangée par la nourrice et qui souhaite prendre la place de Griet à la cave: Vermeer, qui ne dit d’abord rien, intervient pour convaincre sa femme d’accepter que Griet monte au grenier). Griet se rapproche ainsi physiquement du peintre mais aussi mentalement puisqu’elle manifeste un goût très fin pour la peinture (ce que Vermeer découvre notamment lors de la scène sur la couleur des nuages).

Mais le mouvement, même s’il est voulu ou désiré par Griet, reste synonyme de transgression: alors qu’on lui a ordonné de ne toucher à rien, elle déplace la chaise que Vermeer a disposé pour sa composition picturale. Quelle sera alors la réaction du peintre? Il n’y aura cependant aucune crise et le peintre se contentera de modifier sa toile en suivant la suggestion de Griet. Le peintre et sa servante font d’une certaine manière chacun un pas ou un mouvement vers l’autre, comme lorsque leurs mains en viennent à se toucher lors de la préparation des peintures. À ce moment, Griet retirera cependant sa main car le geste de Vermeer est trop ambigu et menaçant pour la jeune fille.

On pourrait donc dire que plus les deux personnages se rapprochent l’un de l’autre, moins leurs mouvements ont d’amplitude: le moindre geste entre eux risque de constituer une transgression majeure, une menace qui les mettrait l’un ou l’autre, ou tous les deux, en danger. C’est le cas en particulier lorsque Vermeer demande à Griet de retirer sa coiffe: il transgresse l’espace en s’approchant du débarras où Griet est en train de défaire sa coiffe, mais il reste sur le pas de la porte comme, précédemment, sa femme était restée au seuil de son atelier.

Le mouvement du film trouve donc son sommet, son «climax», dans cette scène où le peintre perce l’oreille de Griet: la distance entre les deux personnages, mais aussi entre les mondes qu’ils représentent (peintre/servante, catholiques/calvinistes, haut/bas, intérieur/extérieur...) est alors abolie un bref instant avant que les événements ne se précipitent et que Griet soit rejetée à l’extérieur de l’univers du peintre. Pour le spectateur, cette scène est beaucoup plus marquante qu’une éventuelle séance de pose où les deux personnages seraient nécessairement restés à distance l’un de l’autre: ici, le mouvement de rapprochement atteint son sommet d’intimité.

[1] L’affirmation a seulement valeur de provocation...

[2] On remarquera qu’il n’y a pas, dans la collection à vocation pédagogique «Les petits cahiers» publiés par les Cahiers du cinéma, d’ouvrage consacré au mouvement: c’est paradoxalement l’impensé de la pensée du cinéma.

[3] Un plan est une suite d’images tournée en continu. L’unité du plan est d’abord perçue par sa fin, le changement de plan: au plan du personnage qui parle succède brutalement — la caméra a pivoté et a changé instantanément de position — un plan sur le personnage qui lui répond...

[4] sans qu’il faille pour cela évoquer Einstein...

[5] L’ouvrage de Gilles Deleuze, L’Image-mouvement, est un essai philosophique sur l’histoire du cinéma sans doute stimulant mais qui ne fournit aucun outil réellement opératoire. Même l’opposition «fondamentale» entre image-mouvement et image-temps risque bien d’être utilisée à la guise des analystes pour valoriser ou dévaloriser les films selon leurs préférences (puisque l’image-temps est implicitement supérieure à l’image-mouvement) sans que l’on puisse réellement trouver de critère discriminant à cette opposition.

Pour compléter le dossier imprimé : quelques documents autour de Vermeer et son temps

Image du film


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