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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Sophie Scholl
de Marc Rothemund
Allemagne, 2005, 1h57

Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Sophie Scholl avec leurs élèves (entre quatorze et dix-huit ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.

Les Allemands et le nazisme

Sophie Scholl de Mark Rothemund pose de façon indirecte une question importante qui est aujourd’hui encore débattue: pourquoi la résistance au nazisme fut-elle si peu importante en Allemagne et pourquoi les opposants comme Sophie Scholl et ses compagnons restèrent-ils aussi isolés? Comment comprendre notamment que l’Allemagne nazie, militairement vaincue à partir de 1943, ait résisté de façon désespérée et inutile jusqu’au 8 mai 1945 sans susciter de révolte parmi sa population [1]?

Avant d’essayer de répondre à cette question, il faut cependant d’abord connaître l’opinion des jeunes participants à ce propos. Posons-leur donc la question de façon naïve — «comment expliquez-vous l’adhésion des Allemands au régime nazi?» — et notons les réponses de façon synthétique au tableau. Et n’hésitons pas à prendre en considération les naïvetés et les stéréotypes. Parmi les éléments de réponse qui pourraient être ainsi avancés, on pourra relever sans doute:

  • le caractère discipliné des Allemands, leur amour de l’ordre;
  • les conséquences humiliantes du traité de Versailles qui a mis fin à la Première Guerre mondiale;
  • les effets désastreux de la crise économique de 1929 et notamment l’appauvrissement des classes moyennes et paysannes;
  • les succès économiques du régime nazi pendant la période d’avant-guerre;
  • le caractère dictatorial du régime hitlérien et la répression policière de toute forme d’opposition;
  • ...

Ce relevé, même sommaire, permettra donc de vérifier l’état des connaissances historiques des adolescents sur cette période. L’enseignant soulignera ensuite la faiblesse des facteurs explicatifs avancés, notamment s’ils sont considérés isolément.

On attirera en particulier l’attention des participants sur l’état des forces politiques en Allemagne en 1933 au moment de la prise de pouvoir de Hitler. À l’opposé du cliché sur le supposé caractère discipliné des Allemands, il faut rappeler que la République de Weimar, née après la répression des troubles révolutionnaires de 1918-19, était profondément divisée entre partis politiques opposés: à gauche, le parti social-démocrate SPD était le plus important (22% des voix en novembre 1932) mais était fortement concurrencé et critiqué par le parti communiste KPD (15% des voix); la droite fut d’abord dominée par le parti catholique du centre (Zentrum) mais, depuis la crise de 1929 et la montée importante du chômage, il était fortement concurrencé par un parti extrémiste, resté jusque-là marginal, le NDSAP ou parti nazi. Lors de son plus grand succès électoral en juillet 1932 (avant la prise du pouvoir et l’établissement de la dictature), le parti nazi ne comptabilisera que 37% des voix, ce qui est un score important mais non majoritaire.

Avec l’appui du Zentrum, Hitler sera nommé en janvier 1933, ce qui lui permettra en quelques mois d’interdire les autres partis politiques et d’établir la dictature nazie. Il reste à expliquer le soutien ultérieur dont a bénéficié le régime: on trouvera donc ici deux interprétations possibles de ce fait, qui pourront être photocopiées et remises aux élèves. Leur lecture pourra être suivie d’une discussion en grand groupe.

Le mythe Hitler par Ian Kershaw

Paris, Flammarion, 2006 (éd. or.: 1987)

L’historien Ian Kershaw ne s’intéresse pas à la personnalité d’Adolf Hitler mais à son image dans l’opinion publique allemande, ainsi qu’à l’évolution de cette image. Cette image ne dépendait pas uniquement du dictateur ou de ses faits et gestes mais également de la situation politique nationale ou internationale.

Ainsi, les succès électoraux du nazisme sont apparus dans un contexte politique très instable, marqué par la fragmentation des partis de la République de Weimar alors que la crise économique des années 30 demandait des réponses rapides. Face aux divisions des partis politiques sans majorité absolue et à la montée des partis extrémistes (le parti communiste à l’extrême-gauche, le parti nazi à l’extrême-droite), la démocratie de Weimar semblait frappée de paralysie: l’opinion publique, notamment à droite, en appelait ainsi à un pouvoir fort, incarné par un «chef héroïque» qui, au-dessus des partis, parviendrait à souder la nation autour de lui. Dans ce contexte, Hitler s’est présenté comme un «Führer», un chef fort et autoritaire, seul capable de sauver l’Allemagne du chaos. Dans cet état de crise à la fois économique, politique et sociale, ses propos violents étaient en adéquation avec la mentalité de tous ceux qui détestaient «le système».

Arrivé au pouvoir, Hitler lancera notamment un programme économique de réarmement et de grands travaux qui va effectivement réduire le chômage. Mais les salaires étaient bloqués à un bas niveau, alors que le coût de la vie augmentait. Cela n’a cependant pas nui à la popularité grandissante de Hitler, soutenue bien sûr par une intense propagande mais également par un phénomène très particulier: en dehors des victimes de persécutions raciales et politiques, les Allemands constataient bien qu’il n’y avait pas de changement radical dans leurs conditions de vie quotidienne, et ils étaient en outre souvent confrontés à l’arrogance et aux brutalités des «petits chefs» nazis parvenus au pouvoir au niveau local, mais ils furent généralement convaincus que Hitler «défenseur du peuple» n’était pas au courant des abus perpétrés par ses sbires. Ainsi, la popularité de Hitler a grandi au détriment de l’image souvent négative du parti nazi.

Cela s’explique en partie par le fait que le parti était censé s’occuper de la vie quotidienne des gens alors que Hitler, apparemment éloigné de la politique intérieure, prenait une carrure d’homme d’État qui se consacrait entièrement aux «grands» problèmes internationaux. Dans ce domaine, il va d’ailleurs jouer jusqu’à septembre 1939 un double jeu, car l’opinion publique allemande marquée par la «Grande Guerre» était loin d’être disposée à se lancer dans un nouveau conflit. D’une part, Hitler manifestera publiquement son attachement à la paix, mais, d’autre part, il procédera à une série de coups de force menaçant l’équilibre européen: ce sera la remilitarisation de la Rhénanie en 1936, l’Anschluss de l’Autriche en 1938 puis la crise des Sudètes (septembre 1938) et l’invasion de la Tchécoslovaquie (mars 1939). Paradoxalement, ces crises provoquées par Hitler suscitaient une angoisse intense dans la population (devant les menaces de guerre), suivie d’un énorme soulagement (suite à la faiblesse des démocraties), ce qui renforçait la popularité du Führer capable de remporter un tel triomphe sans effusion de sang!

L’entrée en guerre, pourtant si redoutée, va entraîner la popularité de Hitler à son apogée suite aux succès inattendus de la Blitzkrieg, en Pologne d’abord (septembre 1939), en France ensuite (mai-juin 1940). On peut parler à ce moment de «foi naïve, presque religieuse» devant ces victoires inespérées, bien que l’aspiration dominante était de voir à présent la guerre se terminer le plus rapidement possible (la Grande-Bretagne continuant alors seule le combat). Pourtant, en juin 41, le régime hitlérien se lance à la conquête de l’Union soviétique et, après les victoires initiales de l’été, se retrouve bloqué devant Moscou au seuil de l’hiver. Le doute s’installe alors dans l’opinion, mais il faudra encore une année d’une guerre devenue interminable et surtout la défaite de Stalingrad en février 43 pour que la confiance dans le génie militaire de Hitler soit ébranlée.

Le régime a pourtant surmonté la chute du moral de la population (aggravée par les bombardements alliés) grâce notamment à une répression politique accrue (on estime qu’en 1944, un Allemand sur 1200 a été arrêté pour un motif politique ou religieux!). La confiance en Hitler est néanmoins restée élevée dans trois catégories de la population: les jeunes éduqués dans l’idéologie national-socialiste, les soldats dont le moral est souvent resté meilleur que celui de l’arrière, et surtout les militants du parti qui avaient le sentiment que leur existence était liée au régime. Ces éléments ajoutés à l’apathie d’une grande partie de l’opinion ont ainsi permis la survie du nazisme jusqu’à la défaite finale le 8 mai 1945.

Comment Hitler a acheté les Allemands par Götz Aly

Paris, Flammarion, 2005 (éd. originale allemande: Hitler Volksstaat, 2005)

L’historien Götz Aly met en évidence, au début de son analyse du régime nazi, le traumatisme causé par la Première Guerre mondiale en Allemagne: le blocus britannique avait alors provoqué une véritable famine (400000 morts), qui, conjuguée à une inflation galopante, avait plongé le pays dans le chaos et la guerre civile. Ainsi, beaucoup de soldats allemands, comme Hitler, avaient eu le sentiment que cet effondrement intérieur était la véritable cause de la défaite de 1918 et non pas la conduite des opérations militaires. Dès lors, les autorités nazies, à la veille de déclencher une nouvelle guerre mondiale, étaient persuadées que le maintien du niveau de vie de la population allemande était une des conditions indispensables à la victoire.

À partir de la prise de pouvoir de Hitler, l’État nazi prit une série de mesures destinées à susciter une large adhésion populaire au régime: les familles étaient encouragées par des allocations familiales, des privilèges fiscaux octroyés aux classes inférieures et moyennes, des mesures prises pour protéger les paysans des aléas du climat et du marché mondial... (beaucoup de ces mesures — à l’époque nouvelles — sont restées en vigueur en Allemagne fédérale après 1945). Par ailleurs, Hitler avait promis du travail aux six millions de chômeurs, et par une politique de grands travaux et de réarmement, le régime nazi réussit à ramener ce chiffre à 2,5 millions fin 1936 et à 1,6 millions fin 1937.

Mais toutes ces mesures avaient un coût, et la dette de l’État allait rapidement devenir exorbitante: c’est dans ce contexte qu’est intervenue «l’aryanisation» à partir de 1938 des biens des Juifs allemands qui furent spoliés par différentes taxes et mesures arbitraires. L’historien estime qu’au moins 9% des recettes du budget de l’État de l’année 1938-1939 provenaient des produits de «l’aryanisation».

L’entrée en guerre allait évidemment augmenter l’endettement de l’Allemagne de manière spectaculaire, mais les nazis ne voulaient pas que cela porte atteinte au niveau de vie du peuple allemand: c’est ainsi qu’en 1941 par exemple les pensions furent augmentées, et introduite l’assurance maladie obligatoire. Dès lors, furent institués une série d’impôts de guerre qui touchèrent surtout les bénéfices des entreprises ainsi que les personnes aux revenus les plus élevés (comme les propriétaires de biens immobiliers). Les principaux bénéficiaires de tous ces trains de mesures furent les soldats et leurs familles qui avaient été largement négligées pendant la Première Guerre mondiale et qui, cette fois, bénéficiaient d’allocations importantes les mettant à l’abri du besoin.

Mais la conquête de nombreux pays européens avait également profondément modifié la situation: l’Allemagne imposa en effet à tous ces pays des frais d’occupation et des contributions extraordinaires dont le montant dépassait parfois largement le dernier budget de temps de paix des États en cause. La convention de La Haye de 1907 sur «les lois et coutumes de la guerre» prévoyait qu’une puissance occupante puisse prélever des contributions pour «les besoins de l’armée ou de l’administration de ce territoire», mais les autorités nazies utilisèrent mille astuces (comme la fixation d’un taux de change extrêmement favorable au Reichsmark) qui permirent de piller littéralement les pays occupés. Grâce à des bons de réquisition largement distribués, les soldats allemands revenaient en permission au pays chargés de valises et de colis où se mêlaient victuailles, alcools, produits de luxe et cadeaux de toutes sortes pour leurs familles. En Pologne et en Union soviétique occupées, cette politique fut beaucoup plus brutale, et les réquisitions atteignirent de telles proportions qu’elles provoquèrent la famine en plusieurs endroits (les premières victimes en furent les soldats soviétiques prisonniers dont deux millions moururent de faim dans les camps allemands entre juin 41 et février 42).

Une nouvelle fois, les Juifs étaient les autres grandes victimes de ce vol organisé: alors qu’à partir de 1942, des familles de toute l’Europe étaient envoyées dans les camps d’extermination situés en Pologne, tous leurs biens étaient saisis et envoyés en Allemagne. Les autorités nazies pouvaient se montrer alors pleines de sollicitude pour les populations allemandes victimes des bombardements grâce aux wagons venant de l’Europe entière et remplis de meubles et d’objets divers ayant appartenu à des Juifs.

Au sortir de la guerre, un officier britannique, qui avait vu des centaines de Napolitains mourir de faim durant le terrible hiver 44-45, pouvait noter avec surprise en arrivant à Cologne en Allemagne: «Les gens ne reflétaient pas la destruction. Ils avaient bonne mine, étaient pleins d’entrain et plutôt bien habillés. Un système économique soutenu jusqu’au bout par des millions de Reichsmarks provenant de mains étrangères et par le pillage de tout le continent montrait ici ses résultats.»

Discussion

Les ouvrages de Ian Kershaw et Götz Aly (dont le propos est ici fortement résumé et donc simplifié) sont certainement des ouvrages de qualité dont la valeur est reconnue par la communauté scientifique des historiens. On attirera cependant l’attention des jeunes participants sur le fait que ces travaux, qui s’appuient bien sûr sur des éléments objectifs (révélés par un important travail dans les archives effectué par ces deux historiens), constituent des interprétations des faits historiques, interprétations vraisemblables mais pour une part hypothétiques [2].

Par exemple, la thèse de Götz Aly selon laquelle le nazisme était «une dictature au service du peuple» (selon le titre d’un des chapitres de son ouvrage) prend manifestement à contre-pied les analyses marxistes qui interprètent généralement le nazisme comme un mouvement foncièrement anti-populaire, au service en réalité du grand capital. L’historien apporte bien sûr une série d’éléments objectifs et inédits (comme les mesures fiscales en faveur des masses) en faveur de sa thèse, mais d’autres historiens pourraient sans doute défendre un autre point de vue et mettre l’accent sur d’autres éléments en faveur d’une thèse différente.

Ainsi, l’on peut se demander si le bien-être matériel suffit à expliquer le soutien de la population allemande à la politique nazie ou du moins sa passivité face à cette politique: par comparaison, on se souviendra de la situation aux États-Unis dans les années 1960, caractérisée par un puissant mouvement de contestation de la guerre menée au Viêt-nam, ce qui semble indiquer que la situation socio-économique n’est sans doute qu’un facteur parmi d’autres pour comprendre l’état d’esprit d’une opinion publique.


[1] Rappelons qu’en 1918, l’Allemagne a signé l’armistice alors que son propre territoire n’était pas envahi même si l’armée allemande battue sur le front de l’ouest était contrainte depuis juillet à des replis successifs. En outre, depuis janvier 1918, l’Allemagne était secouée par des troubles dirigés contre l’état de guerre, qui culminèrent en octobre et novembre 1918 dans des mouvements de grèves insurrectionnelles provoquant finalement la chute du gouvernement et de l’empereur Guillaume II (10 novembre). Rien de tel ne se produisit pendant la Seconde Guerre mondiale où le régime nazi parvint à maintenir son emprise sur la population allemande jusqu’aux tout derniers jours de la guerre.

[2] À l’heure notamment d’Internet, il nous paraît indispensable de recourir à la distinction entre faits, interprétations et jugements de valeur. Cette distinction est d’ordre méthodologique, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un instrument de réflexion qui, dans l’analyse concrète, peut être difficile à appliquer, car il y a toujours des zones de recouvrement entre les réalités que ces concepts visent précisément à distinguer.
Pour rappel:
• les faits reposent sur des éléments directement observables et sont donc susceptibles d’un accord entre les observateurs selon les critères du vrai et du faux;
• les interprétations sont construites à partir des faits entre lesquels elles tissent des liens explicatifs: elles ne sont pas directement observables, ni vérifiables, et sont appréciées en degrés de certitude ou de vraisemblance;
• les jugements de valeur (de nature politique, morale ou même esthétique) s’appuient très généralement sur des faits et des interprétations, mais comportent une part irréductible de subjectivité.
Un paralogisme fréquent consiste à déplacer directement les jugements de valeur du niveau des faits (par exemple quand on condamne les crimes nazis) à celui des interprétations (quand on en conclut à une condamnation du capitalisme et de la bourgeoisie — interprétation marxiste — ou bien du «totalitarisme» — interprétation démocrate — ou encore du «rationalisme», du «nihilisme», de la «mentalité allemande»... — autres interprétations qui ont été proposées).


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