En adaptant son premier roman, Lucas Belvaux réussit un drame d’une grande subtilité narrative et psychologique qui dévie de la trajectoire attendue du film d’action, aux questionnements existentiels sur la vie et la mort d'une puissante résonance
Ça vaut quoi, la vie d’un homme ? D’un homme comme lui. Un homme sans rien. Skender, ancien légionnaire, le découvrira bien assez tôt. "Madame", veuve fortunée et passionnée de chasse, s’ennuie. Elle charge alors son majordome d’une terrible mission : lui trouver un candidat pour une chasse à l’homme moyennant un très juteux salaire. Skender est le gibier idéal. Mais rien ne se passera comme prévu...
Lucas Belvaux est un comédien et cinéaste belge au parcours exemplaire, intransigeant, depuis plus de quarante ans déjà. Il a d’abord joué pour de grands noms du cinéma français comme Yves Boisset, Claude Chabrol, Olivier Assayas ou Jacques Rivette, en imposant une personnalité d’acteur hors format, au ton libre et sensible. Ses propres films, dans lesquels il joue régulièrement, il commence à les réaliser au début des années 1990, révélant un réel sens de l’éclectisme. Lucas Belvaux aborde la comédie sentimentale, le drame et le polar dans une forme qui ne s’autorise jamais d’excès, sobre et rigoureuse. De ses douze réalisations actuelles se dégage une double constante fondamentale dans sa démarche : un ancrage social et un regard humain. Le réalisateur de La Raison du plus faible cherche, se pose des questions souvent politiques et existentielles, déterminé à ne pas tout laisser en plan, à comprendre pour avancer, dans des films accessibles et captivants qui enregistrent aussi les humeurs contrastées de leur époque.
Adapté de son premier roman éponyme, Les Tourmentés possède un point de départ scénaristique très original, voire carrément culotté tant il cache en lui un geste nihiliste à l’odeur de soufre qui caractérise certains polars américains des années 1970. La force et l’intelligence de l’écriture de Lucas Belvaux résident dans le fait de construire un récit qui, pas à pas, se déleste des pièges que son pitch lui tendait les bras grands ouverts (la symbolique de la revanche sociale sur fond de lutte des classes, la chasse à l’homme trop attendue…). Il conduit notre regard vers de nouvelles trajectoires émotionnelles et scénaristiques, tournées vers une étude des relations humaines et de l’intériorité de l’âme. Le cinéaste peut, pour cela, s’appuyer sur trois remarquables interprètes (mention spéciale à Ramzy Bedia, totalement à contre-emploi) au jeu sobre qui n’appellent pas l’émotion facile et expriment si bien la part énigmatique et dangereuse de leurs comportements.
Un film de pure action n’aurait certainement pas permis tant de subtilité et aurait tout simplement été à des années-lumière du cinéma humaniste de Lucas Belvaux. L’histoire préfère panser les plaies de ses personnages que de briser cyniquement ce qu’il leur reste, de quoi respirer et tenir debout. À y regarder de plus près, Les Tourmentés est en cela un récit initiatique dans lequel la réconciliation et la reconstruction valent tellement mieux que la séparation car, ici, la lueur émerge lorsqu’il est encore possible de remettre en question ses mauvaises intentions.
Tourné essentiellement au milieu de la nature, ce drame psychologique fait le pari de l’intime et convoque finalement en lui le meilleur de certains westerns classiques qui distillent un suspense lancinant et angoissant, construit autour de l’ambiguïté des comportements humains et d’une réflexion sur la vie et la mort. Des films inscrits en milieu naturel aride, à la poésie discrètement présente, avec des personnages cabossés à la recherche de la guérison, quand il sera à nouveau possible pour eux de regarder le monde et les êtres avec amour, dans l’apaisement et la certitude de vivre à nouveau.
Cinéaste de son temps, Lucas Belvaux réussit un grand film sensible au souffle lyrique rentré. En somme, une fable qui, par la métaphore, dit bien ce qu’il est primordial d’éviter, de soigner et de préserver dans la société, aujourd’hui et demain.
Nicolas Bruyelle, les Grignoux
En présence de Lucas Belvaux, réalisateur
Places prochainement en vente en ligne et aux caisses de nos cinémas