D’une grande sincérité, ce beau premier film de groupe présenté à Cannes enregistre dans l’instantanéité de la vie les émois sentimentaux et désirs sexuels de jeunes en train de basculer vers l’âge adulte
Marseille, en plein été. À 20 ans, Omar et sa bande, moniteurs de centre aéré et respectés du quartier, classent les filles en deux catégories : celles qu'on baise et celles qu'on épouse. Le retour de Carmen, amie d’enfance et ex-prostituée, bouleverse et questionne leur équilibre, le rôle de chacun dans le groupe, leur rapport au sexe et à l’amour…
Ce film français dégage une authenticité communicative qui en a fait une des sensations de la Quinzaine des Cinéastes à Cannes. C’est une fiction débarrassée des balises scénaristiques qui encombrent tant de premiers films trop pétris d’intentions et de didactisme pour littéralement prendre l'air et dresser un instantané de la jeunesse, aux portes du documentaire.
La réalisatrice s’inscrit dans un courant souvent traversé par le jeune cinéma français, celui du récit initiatique qui met aux prises des jeunes au coeur étourdi par ce que provoque la confusion des sentiments. La force du film est d’aborder ces grands questionnements sans tabou, dans un style direct, qui enregistre les confrontations verbales et physiques de ces jeunes avec une caméra nerveuse et amoureuse de leur beauté. Ce sont leurs petits épisodes de la vie que la réalisatrice filme avec la volonté d’en capter tout le sel. Elle a travaillé son scénario avec ses comédiennes et comédiens, toutes et tous débutants au cinéma. La puissance de leur jeu démontre ce lien fort qui les unit à la réalisatrice, indispensable pour réussir pareille entreprise où tout tient sur un fil.
Parler de genre, de sexualité, des rapports filles-garçons sur fond d’héritage patriarcal, c’est ce que réussit Les Filles désir en mettant la lumière sur une jeunesse de banlieue loin des clichés. Ce sont des êtres inscrits dans le monde, pleins de souffle, entiers, romantiques comme blagueurs, sombres et durs aussi. Des jeunes qui ont des rêves et des désirs qui ne sont pas souvent évidents à canaliser, pas toujours compatibles avec ceux des autres. C’est pour cela que le film emprunte une trajectoire sinueuse et se confronte aux paradoxes de la vie : de la douceur à la violence, de l’insolence à la gravité, du désir au rejet, rien n’est jamais simple, tout demande nuance (et respect) dès qu’il est question de sentiments.
La scène dans laquelle un jeune garçon explose émotionnellement au milieu de la nuit, sur la plage, en pleurant et en criant de tout son corps, résume le talent d’une cinéaste capable de préserver l’inattendu pour faire surgir l’intériorité blessée de ses personnages. Les Filles désir est un film bouillonnant et libre.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux