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Prix du Jury et d’interprétation féminine, Festival de Cannes
Ce fut la grosse sensation du dernier Festival de Cannes, le film le plus étonnant et clivant de la compétition, qui a obtenu les Prix du Jury et d’interprétation féminine. Cette rencontre de la comédie musicale, du polar et du mélo qui fera date donne naissance à une fable virevoltante et intense sur la transidentité
Surqualifiée et surexploitée, Rita use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle, aider le chef de cartel Manitas à se retirer des affaires et réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être…
Jacques Audiard est un cinéaste audacieux, qui n’est jamais là où on l’attend. Il part à l’aventure, voyage d’un territoire à l’autre. De film en film, il explore et réinvente les genres et témoigne d’un désir prononcé de faire du cinéma. Il prend plaisir à raconter des histoires étonnantes, "bigger than life", et c’est communicatif.
Chacun de ses nouveaux films est réalisé en réaction au précédent, dans la volonté d’éviter les répétitions. Arrêtons-nous à ses trois derniers : il est question d’un western (Les frères Sisters), d’une histoire intime très sexe en banlieue (Les Olympiades) et maintenant d’une comédie musicale. Rien que ça !
Plongée dans le Mexique nocturne et poisseux des narco-trafiquants, l’intrigue d’Emilia Perez est racontée sur les chapeaux de roue, en phase avec les codes du polar mafieux et de la comédie musicale, deux genres qui demandent un sens aigu de la gestion du rythme, tout en soignant les pics émotionnels comme dans un mélo coloré d’Almodovar.
Maîtrisant pleinement ce mariage des contraires, Jacques Audiard réussit une vraie prouesse stylistique qui demeure cohérente de bout en bout. Le film assume son premier degré comme dans les dialogues, souvent très directs et informatifs, et dans la psychologie des personnages, évidente, qui ne s’embarrassasse pas des détails. Aucune digression, aucune zone d’ombre dans Emilia Perez qui file tout droit, telle la fuite en avant d’un personnage principal en pleine transformation, incarnée par l’actrice transgenre Karla Sofía Gascón, magnifique et si émouvante.
Les scènes dansées et chantées sont impressionnantes de virtuosité, quant aux scènes de polars (poursuites, coups de feu), elles sont très violentes et particulièrement réalistes.
Film spectaculaire d’un cinéaste équilibriste qui n’a jamais eu peur du vide, Emilia Perez joue à fond la carte du divertissement et de l’éblouissement esthétique. Miraculeusement, il ne tombe pas dans le grotesque qui lui tendait pourtant les bras à chaque coin de séquence. Il n’oublie pas non plus de tenir un propos social et politique contemporain sur le droit des personnes transgenres. Une démarche cohérente de la part d’un cinéaste dont tous les films, si intenses, captent l’énergie d’êtres humains complexes, incarnations de leur époque, forcément dingue.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux
