Medias
Journal & grilles Appli mobile Newsletters Galeries photos
Medias
Journal des Grignoux en PDF + archives Chargez notre appli mobile S’inscrire à nos newsletters Nos galeries photos
Fermer la page

Documents complémentaires au dossier pédagogique
réalisé par le centre culturel Les Grignoux et consacré au film
Million Dollar Baby
de Clint Eastwood
USA, 2004, 2 h 12

On trouvera ici plusieurs documents destinés à accompagner le dossier pédagogique réalisé par le centre culturel Les Grignoux et consacré au film Million Dollar Baby de Clint Eastwood.

On trouvera deux types de documents:

  • l'analyse d'une séquence du film (ci-dessous) destinée à accompagner l'étude de la mise en scène proposée dans le chapitre 6 : "Comment ça fonctionne" (pages 17 à 24 du dossier imprimé)
  • une série d'images du film destinées à illustrer les différents chapitres du dossier en particulier le chapitre 5 : "Une approche de la mise en scène" (pages 10 à 16 du dossier imprimé)

Analyser une séquence de Million Dollar Baby

Réflexion préalable à destination des animateurs

Une analyse infinie ?

Contrairement à ce que certains peuvent prétendre, il n'y a pas de méthode d'analyse cinématographique de séquences isolées, qui soit à la fois rigoureuse et applicable à un grand nombre de films. En effet, lorsqu'on considère une seule séquence, même limitée, il y a un nombre indéfini (sinon infini) d'éléments qui peuvent être observés et ensuite analysés : le cadrage, les éclairages, les mouvements de caméra, le jeu des acteurs, leurs attitudes, leurs gestes, leur position les uns par rapport aux autres, les paroles, les bruits, la musique éventuelle, la manière d'enregistrer ces paroles, ces bruits et ces musiques, les couleurs, le montage des différents plans et leurs raccords, les costumes, les accessoires, la façon de les disposer dans l'espace et dans le cadre, le grain de la pellicule, les transformations mêmes de l'image, qu'elles soient dues à des mouvements de caméra ou aux déplacements des acteurs (et pour lesquelles on ne dispose pratiquement pas de termes de description en dehors de notions classiques de travelling ou de panoramique qui sont aujourd'hui largement insuffisantes face à l'infinie variété des mouvements possibles de caméra), etc.

En outre, s'il est bien difficile de déterminer ce qu'il faut observer, il est encore plus difficile d'interpréter les observations éventuelles : tout le monde perçoit sans doute un gros plan ou un mouvement de caméra, mais que faut-il en penser ? et que peut-on conclure de cette observation qui risque bien de n'être en soi que banale et prosaïque ?

Si le cinéaste est confronté à une infinité de choix possibles (ne serait-ce que de positions de caméra), il est évidemment faux de conclure que tous les choix qui ont été faits sont nécessairement significatifs, en particulier d'un point de vue esthétique. Une simple expérience mentale suffit à montrer l'absurdité d'une telle conclusion : si la caméra avait été placée dix centimètres à côté, le cadrage aurait-il été essentiellement différent, esthétiquement non pertinent, fondamentalement transformé ? Le plus souvent non, même si l'on pourrait trouver quelques exemples exceptionnels où un tel déplacement serait visuellement significatif. Il suffit d'ailleurs de remarquer que le passage à la télévision qui ne respecte pas le plus souvent le format original des films ne nous empêche pas de considérer qu'il s'agit toujours bien (essentiellement) du même film, même si nous perdons parfois 15 ou 25 % de l'image originale.

Ces questions ne sont pas purement théoriques, et, en situation pédagogique, on constate facilement que les jeunes spectateurs (même lorsqu'ils choisissent des filières scolaires orientées vers le cinéma) sont bien incapables, malgré les notions du « langage cinématographique » qu'on leur a éventuellement fournies, d'analyser par eux-mêmes une séquence isolée (et encore moins un film), comme si, en-dehors des exemples canoniques — le grand angle chez Orson Welles, le montage-attraction chez Eisenstein — il paraissait impossible de trouver des éléments de mise en scène cinématographique qui dépassent le niveau de l'observation banale et méritent une réflexion esthétique.

Comment faire ?

Dans une situation pédagogique où l'on s'adresse à des élèves du secondaire qui, dans leur grande majorité, ne se destinent pas aux métiers du cinéma (et encore moins à la carrière très particulière d'analyste universitaire du cinéma...), il faut donc déterminer — au moins de façon sommaire — les éléments filmiques qui devront faire l'objet d'une observation. Il faudra en outre indiquer aux participants une hypothèse générale d'interprétation qui soit « raisonnable » (c'est-à-dire compréhensible et acceptable par les participants) et qui permette d'interpréter les différents éléments qui auront été observés.

Mais ce « guide » d'observation et d'interprétation ne peut pas se déterminer a priori, et il doit être élaboré, par les enseignants ou par des analystes, en fonction du film choisi. Ce qui est pertinent chez un cinéaste — par exemple le montage chez Godard — l'est sans doute moins chez un autre — par exemple chez Pialat —, même si, de façon tout à fait théorique (et irréaliste), d'aucuns peuvent décréter que « tout est significatif » dans un œuvre d'art ou dans un film.

Et comme il s'agit, face à un film, de s'interroger sur la « forme », sur le travail de mise en scène, sur la manière de faire du cinéaste, on doit nécessairement mener une réflexion sur les intentions de « l'auteur » du film : analyser un film comme Million Dollar Baby (si cela a un sens) consiste à comprendre les choix — ou au moins certains choix — du cinéaste Clint Eastwood. Et l'on suppose (a priori) que ces choix ne sont pas totalement arbitraires et qu'ils ont été faits de manière plus ou moins consciente, exprimant des intentions (au sens le plus large du terme) que l'observateur peut reconstituer.

En outre, hypothèse supplémentaire , l'on suppose que ces intentions forment ce qu'on appelle un « projet » cohérent : la « forme » et le « contenu », l'histoire racontée et les choix de mise en scène, s'articulent les uns aux autres. Mais un tel projet ne peut être reconstitué qu'en considérant l'ensemble du film ou du moins des extraits « significatifs » du film (et déterminer ce qui est significatif implique presque nécessairement que l'on puisse y lire le « projet » d'ensemble de l'auteur ). Ainsi, dans Million Dollar Baby, l'on cherchera à comprendre ce qui a intéressé Clint Eastwood dans le récit qu'il a ensuite adapté, quel aspect il a cherché à mettre en évidence par sa mise en scène (au sens le plus large : on y inclura notamment le travail d'adaptation scénaristique), quel « style » cinématographique il privilégié de ce fait, etc.

 

On trouvera donc ci-dessous un extrait de Million Dollar Baby avec une hypothèse générale d'interprétation destinée à guider le travail d'observation des jeunes spectateurs. Ceux-ci pourront ensuite confronter leurs observations et leurs analyses à un commentaire approfondi.

Une séquence de Million Dollar Baby

Frankie, après avoir assisté à la télévision à la victoire de Willie, le boxeur qui vient de le quitter,se rend à la salle d'entraînement pour discuter avec Scrap. C'est là qu'il découvre en pleine nuit Maggie en train de s'entraîner.

Cette scène peut paraître secondaire et sans grande action, mais ce qui importe au cinéaste, c'est de montrer l'évolution psychologique du personnage de Frankie, et plus précisément comment Maggie va l'amener à changer d'avis alors que, depuis le début du film, il refuse « d'entraîner des filles ». C'est pour cela sans aucun doute que cette séquence est aussi longue : il faut que le changement d'attitude de Frankie soit vraisemblable et naturel.

Mais il ne fallait pas non plus que l'on devine trop facilement l'issue de cette confrontation sinon il n'y aurait plus eu le moindre suspens : chaque personnage va donc essayer de prendre l'avantage.

Tout cela passe principalement par la parole, mais certains gestes sont également significatifs. Parfois ce sont même de simples expressions du visage des acteurs qui suffisent à traduire leurs sentiments.

Les cadrages, bien que peu spectaculaires, contribuent également à souligner les différentes étapes de cette confrontation.

D'autres éléments — comme l'utilisation de la lumière, le montage des plans successifs, les mouvements de caméra (très peu nombreux), les angles de vue... — ont sans doute une importance mais moins déterminante.

Pouvez-vous donc observer ces différents éléments et essayer de les interpréter.

Commentaire : cadrage et mise en scène

L'ensemble de la séquence est filmée de façon très simple et très classique pour un dialogue : la caméra cadre un interlocuteur (généralement celui qui parle) puis l'autre (c'est ce qu'on appelle un champ-contrechamp). Mais cette simplicité apparente masque une stratégie très visible qui consiste à séparer les deux personnages (qui sont plus ou moins en conflit) par le punching-ball (« speed bag ») qu'on verra pratiquement dans tous les plans au milieu de l'écran.

Bien entendu, la place d'un tel objet est tellement évidente dans une salle d'entraînement qu'on y fait à peine attention. Mais c'est toute l'habileté d'un metteur en scène comme Clint Eastwood d'utiliser la présence naturelle d'un objet comme ce punching-ball pour mettre en évidence les rapports compliqués entre les personnages : si, par contre, Frankie avait appelé Maggie pour discuter avec elle ne serait-ce qu'un mètre plus loin, le dialogue aurait été purement verbal et aurait pu alors être beaucoup moins dynamique.

Des gestes « parlants »

Car ce puching-ball est utilisé pendant le dialogue et permet des gestes très expressifs : c'est le cas de Maggie bien sûr qui ponctue son discours « violent » de coups de poing pour marquer sa détermination mais aussi sa colère. Bien entendu, ses gestes paraissent eux aussi tout à fait naturels puisqu'elle est en train de s'entraîner, mais il s'agit bien encore une fois d'une véritable invention du metteur en scène (ou peut-être de son scénariste) qui a choisi de faire se dérouler tout le dialogue à cet endroit précis. En outre, le coups de poings ne sont pas donnés au hasard au milieu de la conversation mais pour souligner les moments forts de son discours.

S'y ajoutent les gestes eux aussi très « naturels » de Frankie qui, quant à lui, arrête le mouvement du speed bag à trois reprises. Sans doute le bruit de l'engin gêne la conversation, mais le geste traduit aussi la différence de sentiment ou d'émotion entre Maggie et Frankie : le jeune femme est en mouvement, elle est déterminée, elle est colère ; lui en revanche est dans l'hésitation, dans l'attente, dans l'incertitude, et son geste consiste précisément à arrêter le mouvement dans lequel l'entraîne Maggie : il consiste à marquer une pause, un temps d'arrêt pour reprendre la parole mais aussi l'avantage.

Ces gestes bien sûr ne signifient rien en eux-mêmes, mais ils s'inscrivent très naturellement dans le cours de la conversation pour en accentuer les différents significations, comme quand Frankie criant « Stop, stop, stop » à Maggie (et après avoir une nouvelle fois arrêté le speed-bag) jette sa veste par terre comme pour marquer sa détermination à imposer sa volonté (et bientôt ses conditions) à la jeune femme.

De façon beaucoup plus fine, on peut également observer les expressions du visage où se lisent, comme dans les gestes, de façon visible les émotions (même s'il est difficile dans ce cas de faire la part du jeu de l'acteur et celle des indications du metteur en scène). On remarque par exemple que Maggie exprime de façon très visible ses émotions — d'abord la colère, puis la joie quand Frankie semble accepter de l'entraîner — alors que Frankie a un visage beaucoup plus neutre, beaucoup plus fermé, même si l'on voit (ou croit voir) qu'il est remué par les paroles poignantes de la jeune femme. On peut également remarquer que le regard de Maggie est pratiquement toujours direct, pointé dans celui de Frankie, alors que lui détourne souvent les yeux (vers le mur du fond ou vers le bas) comme s'il ne supportait pas « l'attaque » frontale de la jeune femme. On sent ainsi qu'il essaie de prendre du recul par rapport à la jeune femme et ses réactions trop passionnées.

D'autres éléments

On peut repérer d'autres choix de mise en scène même s'ils sont sans doute moins significatifs.

L'éclairage

On remarque facilement le clair-obscur qui divise à plusieurs reprises le visage des deux protagonistes dont une moitié disparaît dans l'ombre. Mais le procédé est tellement répété dans le film qu'il est difficile de lui donner ici une valeur précise.

En revanche, quand les deux personnages se serrent la main, l'éclairage et le nouveau cadrage créent une forte impression (bien que très brève) : les deux personnages sont filmés dans un violent contre-jour, noirs sur le fond blanc du mur, alors que la caméra s'est placée à distance, dans une perspective perpendiculaire au mur, montrant les deux personnages qui se serrent la main, l'une à gauche, l'autre à droite de l'écran, le punching-ball et son support sombre traçant un ligne noire au centre de l'écran. La solennité du geste (bien sûr toute relative) est soulignée aussi bien par le cadrage que l'éclairage.

Les cadrages rapprochés

Les premiers échanges sont filmés en plan rapproché, le personnage vu de face étant à peu près cadré à la ceinture ; puis quand la conversation s'anime, la caméra se rapproche lors d'un changement de plan (ce qui fait qu'on le remarque à peine) et saisit le personnage de face (il s'agit de Frankie en train d'écouter) à mi-poitrine ; les deux personnages — un de face, l'autre de dos — restent cependant visibles dans le cadre, jusqu'à ce que produise (lors d'un nouveau changement de plan) un nouveau rapprochement, un seul personnage (d'abord Maggie) apparaissant alors seul(e) dans le cadre avec le punching-ball occupant l'autre moitié de l'écran. Ces rapprochements successifs produisent une « intensification » des échanges, une « dramatisation » (alors qu'on voit les larmes sur le visage de Maggie), jusqu'à ce que Frankie cède « Stop, stop, stop », moment où la caméra prend un peu recul (et nous permet un bref instant de « respirer »).

Puis la caméra se rapproche à nouveau pendant que Frankie pose ses conditions, scellant alors un pacte avec Maggie. Dès qu'il a fini de parler, la caméra recule et l'on voit Maggie qui tend la main de façon presque comique à Frankie : la tension retombe, et l'accord est scellé.

Cette façon de faire — cadrer les personnages de façon plus serrée pour souligner leurs émotions et les intensifier — est cependant un procédé très classique au cinéma même si l'on peut estimer que la manière de faire de Clint Eastwood est fort habile, à la fois efficace et discrète (le cinéaste profite des changements de plans pour rapprocher la caméra, ce dont le spectateur s'aperçoit à peine même s'il en subit les effets). Ensuite Frankie donne sa leçon, et l'on remarque de nouveau que la caméra se rapproche pour souligner l'attention qu'y porte Maggie.

Des plans de coupe

Un plan de coupe au cinéma est un plan parfois très bref qui interrompt la continuité d'une série de plans en isolant un détail ou en montrant un élément extérieur à l'action en cours. Dans la séquence examinée ici, l'action principale tourne autour du dialogue entre Frankie et Maggie, et l'on peut considérer que les deux plans qui nous montrent Scrap en train d'observer la scène constituent des plans de coupe : alors que nous nous concentrons sur les paroles de la jeune boxeuse et sur les réactions de l'entraîneur, nous oublions pratiquement la présence de Scrap, même si ces deux plans brefs ne nous surprennent pas en tant que tels.

Le second s'explique facilement : quand Maggie et Frankie se serrent la main, Scrap apparaît non seulement comme un observateur mais comme un témoin qui « officialise » le pacte. Les paroles de Frankie et de Maggie sont prononcées comme on dit devant témoin, et ils ne pourront se dédire ni l'un ni l'autre.

Le premier de ces plans de coupe s'explique cependant moins facilement : Maggie vient de reprendre Frankie (« Ne dites pas cela. Ne dites pas cela si ce n'est pas vrai ! Je veux un entraîneur ») de façon très dramatique, et le plan suivant nous montre Scrap qui s'approche lentement de la scène. Si on avait placé ce plan à un autre endroit ou même si on l'effaçait, la séquence serait-elle différente ? Difficile à dire...

Peut-être que la meilleure façon d'expliquer ce plan est de supposer qu'il sert à justifier le deuxième plan de coupe ! En effet, sans ce premier plan de coupe, le second nous surprendrait plus : « tiens ! qu'est-ce qu'il fait là Scrap ? où était-il passé pendant toute cette discussion ». Le premier plan de coupe répond ainsi à l'avance à cette question que nous pourrions nous poser et que nous ne nous poserons donc pas ! On a vu Scrap s'avancer nonchalamment et l'on sait qu'il observe la scène : il est donc bien normal qu'il serve de témoin à la poignée de mains.

Des mouvements de caméra

Il n'y a pratiquement pas de mouvement de caméra dans cette séquence. Un premier, visible, survient au tout début de la scène et correspond au mouvement d'avancée de Frankie vers Maggie. Pendant tout l'échange en revanche, la caméra semble fixe (en dehors des changements de plan) si l'on excepte de très courts mouvements de recadrage des personnages (la caméra remonte ou descend très légèrement pour tenir compte notamment de la taille différente des personnages).

Le dernier mouvement assez visible survient vers la fin de la séquence quand Frankie commence à frapper le speed bag comme « un pic à glace » : comme il frappe du poing gauche, la caméra tourne très légèrement vers la gauche (on dit qu'elle « panote ») pour accompagner son geste. On peut considérer qu'il ne s'agit que d'un recadrage (juste destiné à accompagner le mouvement de l'acteur), mais il survient au moment où commence la musique de cordes qui domine la fin de la séquence : on peut donc avoir l'impression (mais cette impression ne sera pas nécessairement partagée par tous) que le mouvement de la caméra s'accorde au mouvement de la musique. Alors que, jusque-là, la situation paraissait figée, arrêtée comme les deux personnages dans leur face-à-face, on sent ici une mise en mouvement de la caméra, des personnages, de la musique... Mais le mouvement de la caméra est si peu visible qu'on peut estimer qu'une telle interprétation est excessive.

En conclusion

La mise en scène de Clint Estwood ne cherche donc pas à produire des effets spectaculaires ni à se faire remarquer par des points de vue inhabituels mais plutôt à souligner les émotions et les sentiments des personnages d'une façon qui soit aussi « naturelle » et « réaliste » que possible (c'est du moins l'impression qu'en retireront la majorité des spectateurs qui ne remarqueront pas ce travail de mise en scène).

Aller aux images du film


Tous les dossiers - Choisir un autre dossier