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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
La Mauvaise Éducation - La Mala Educación
de Pedro Almodóvar
Espagne, 2004, 1 h 50

Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film La Mauvaise Éducation avec leurs élèves (à partir de quinze ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.

Premières réactions

Pédophilie, sexualité enfantine, homosexualité, travestisme, transsexualisme, consommation de drogues «dures», violence des relations humaines... le film d'Almodóvar brasse de multiples thèmes mais il met les événements en scène de façon apparemment brute sans explication ni justification, décourageant toute interprétation notamment psychologique du comportement de ses personnages. Ainsi, aucun lien ni explicite ni implicite ne semble exister entre le viol subi par Ignacio dans son enfance et son évolution ultérieure, qu'il s'agisse de sa volonté de changer de sexe ou de sa consommation d'héroïne. Dans un autre registre, le père Manolo, s'il est bien montré comme un pédophile abusant de la faiblesse de ses victimes, apparaît ensuite comme la victime d'un être encore plus pervers que lui. Les personnages d'Almodóvar semblent ainsi animés par des motivations simples, élémentaires, immédiatement «lisibles» dans leur manifestation: aimer, prendre du plaisir, se venger, devenir acteur, réussir une carrière... En cela, leur attitude est semblable à celle que nous adoptons dans la vie quotidienne où nous nous interrogeons fort peu sur les motifs qui nous poussent à agir et qui nous semblent tout «naturels»... sauf que le comportement des personnages d'Almodóvar risque bien d'apparaître comme fort peu «naturel»! C'est précisément sur ce choc ou ce contraste que l'animation proposée ici souhaite s'appuyer pour amener les spectateurs à interroger leurs propres certitudes dans des domaines comme la sexualité où il est très difficile de faire la part entre les choix personnels et les jugements moraux portés sur autrui.

Les suggestions d'animation faites ici supposent que le film d'Almodóvar provoquera des réactions contrastées, plus ou moins polémiques, parmi les (jeunes) spectateurs. Deux manières de faire sont alors possibles: soit l'on partira des éléments les plus «choquants» ou les plus «saillants» du film et qui susciteront immédiatement débat (la pédophilie, le transsexualisme, la consommation de drogues dures...), soit au contraire l'on préférera aborder ces questions en biais en s'appuyant sur des aspects apparemment secondaires du film qui permettront de lancer une discussion tout en désamorçant (au moins temporairement) les réactions de rejet trop brutal. Le choix de l'une ou l'autre façon de faire dépendra bien sûr de l'animateur et de la dynamique du groupe concerné.

De façon frontale

La vision collective du film d'Almodóvar en salle de cinéma permettra de prendre la mesure, même sommaire, de l'intensité des réactions du groupe. Un premier moment d'expression libre sera ensuite l'occasion pour chacun de donner son avis sur le film. Ces premiers avis seront vraisemblablement peu nuancés, très généraux et, pour un certain nombre, négatifs: «Ils sont tous barges dans ce film!». Le rôle de l'animateur sera alors d'amener les participants à préciser quels sont les personnages, les gestes, les situations, les faits qui leur ont paru plus particulièrement choquants, anormaux, bizarres, immoraux... Cette réflexion pourra se faire soit au cours d'une discussion collective, soit par l'intermédiaire d'un questionnaire écrit reprenant une série d'éléments du film sur chacun desquels les participants seront invités (individuellement) à donner une appréciation grâce, par exemple, à des échelles d'attitudes. La discussion ouverte permet sans doute de mieux profiter de la dynamique du groupe; en revanche, le questionnaire écrit facilite l'expression d'opinions minoritaires ou qui n'oseraient pas se dire publiquement.

Voici donc une série de scènes du film qui pourraient être soumises à l'appréciation des participants.

Votre réaction...

Voici une série de scènes de la Mauvaise Éducation de Pedro Almodóvar. Comment jugez-vous le comportement de ces différents personnages? Plutôt normal et banal? ou plutôt choquant et scandaleux? Vous pourrez nuancer votre réponse en utilisant les différents degrés de l'échelle d'évaluation.
Ignacio, travesti en femme et vêtu d'une robe moulante, interprète une chanson mélancolique (Quizás) dans un cabaret.
Ignacio, sous les traits de Zahara, séduit de manière provocante Enrique près de sa moto puis lui fait une fellation dans une chambre d'hôtel.
Pendant ce temps, Paquito s'apprête à voler la moto d'Enrique.
Finalement, Ignacio fait l'amour avec Enrique endormi mais en érection.
Ignacio et Paquito, toujours déguisés en femmes, prennent de la drogue (un mélange d'héroïne et de cocaïne) avant de se rendre chez le père Manolo.
On comprend que Martin et Enrique (présents dans le même bureau au début du film) sont amants; on apprendra plus tard qu'Enrique a été marié et a eu un enfant.
Paquito avec l'aide d'Ignacio vole les objets du culte dans la chapelle.
Un retour en arrière révèle que le père Manolo a violé Ignacio enfant.
Jeunes adolescents, Enrique et Ignacio se masturbent mutuellement lors d'une séance de cinéma.
Dans la nouvelle «La Visite», Ignacio explique qu'il s'est vendu pour la première fois au père Manolo dans la sacristie pour éviter l'expulsion de son ami Enrique.
Ignacio perd la foi.
Dans la piscine, Enrique nu invite Ignacio (on apprendra plus tard qu'il s'agit de Juan) à le rejoindre; il regardera ostensiblement le sexe d'Ignacio (sous son slip) puis ses fesses nues.
Pour avoir le rôle, Angel-Ignacio-Juan accepte de coucher avec Enrique.
Monsieur Berenguer donne sa version des faits: Ignacio, travesti et héroïnomane, l'a fait chanter pour pouvoir payer son opération de changement de sexe.
Juan se filme avec monsieur Berenguer en train de faire l'amour.
Ignacio devenu héroïnomane va rendre visite à sa mère mais en profite pour voler l'argent de la pension de sa tante.
Monsieur Berenguer avec l'aide de Juan fournit à Ignacio une dose mortelle d'héroïne.

Pour aller plus loin

Ces différentes questions (posées oralement ou par écrit) permettront sans doute aux participants de préciser leurs premières réactions mais peut-être également de prendre conscience du fait que tous ne sont certainement pas sensibles aux mêmes éléments: pour un incroyant par exemple, il n'y a sans doute pas de grande différence entre voler une moto et des objets du culte, contrairement à ceux pour qui de tels objets ont une dimension sacrée plus ou moins affirmée.

Face aux premières réactions des uns et des autres, il sera donc intéressant de relancer la discussion par des questions complémentaires. Celles-ci dépendront bien sûr de la dynamique de la discussion ainsi que de l'esprit d'à-propos de l'enseignant ou de l'animateur. On peut néanmoins indiquer quelques pistes de réflexion pour amener les participants à nuancer, sinon à remettre en cause, des jugements trop sommaires (on suppose que l'animateur devra faire face à un certain nombre de jugements négatifs, plus ou moins intolérants).

C'est vraisemblablement le personnage d'Ignacio devenu adulte qui suscitera les commentaires les plus vifs: homosexuel, travesti, transsexuel, héroïnomane, voleur, maître chanteur... il sera pour beaucoup l'objet de tous les scandales même si, enfant, il apparaît par ailleurs comme une victime d'un prêtre pédophile. Mais cette confusion de «rôles» (sociaux ou... asociaux) en un même personnage risque bien de favoriser tous les amalgames. Ainsi, l'on pourra demander aux participants d'imaginer qu'Ignacio soit réellement de sexe féminin: son comportement apparaîtrait-il alors comme moins choquant ou moins scandaleux? Dans ce cas, comment jugerait-on une scène comme celle où il/elle fait l'amour avec Enrique endormi, ou bien celle où, enfant, il/elle se caresse au cinéma avec Enrique? Toute la relation très trouble entre Juan (qui se fait passer pour Ignacio) et Enrique mérite d'être réinterrogée en faisant le même genre d'hypothèse: et si Juan était la sœur d'Ignacio, comment jugerait-on son comportement avec le cinéaste? Est-il plus scandaleux pour un acteur que pour une actrice de «coucher» pour décrocher un rôle? Mais l'on peut également renverser les rôles et se demander quel jugement l'on pourrait porter sur la scène où Ignacio fait l'amour avec Enrique endormi: et si Enrique avait été une femme, que penserait-on de quelqu'un qui profiterait de son sommeil pour avoir des relations sexuelles avec elle?

Le personnage de Juan devrait quant à lui permettre de complexifier les représentations sans doute sommaires de certains participants, concernant l'ambivalence des sexes (représentée ici sous les trois formes de l'homosexualité, du travestisme et du transsexualisme): ainsi, l'on peut se demander si Juan est homosexuel même s'il fait l'amour avec Enrique et monsieur Berenguer? Ou bien choisit-il «seulement» de se prostituer? On se souviendra par ailleurs qu'il insiste pour interpréter le rôle de Zahara, c'est-à-dire d'un travesti, allant même jusqu'à étudier les manières d'un autre travesti imitateur de Sara Montiel. Est-ce le signe de son homosexualité ou bien l'expression de sa passion d'acteur capable d'interpréter tous les rôles comme «Robert De Niro»? Le travestisme joue avec les signes les plus marqués de l'identité sexuelle mais n'implique pas nécessairement l'homosexualité: si c'était le cas, que devrait-on en effet penser des «mœurs» sexuelles de Gael García Bernal, l'acteur bien réel qui interprète l'acteur Juan (et qui, outre le film d'Almodóvar, apparaît dans un film consacré à la jeunesse de Che Guevara, The Motorcycle Diaries de Walter Salles)? Par un nouveau glissement, l'on peut interroger cette passion d'acteur qui paraît sans doute plus «normale» que le travestisme (au sens étroit): Enrique juge en effet que Juan est en fait un mauvais acteur qui ne jouera bientôt plus que dans des séries télévisées; mais Almodóvar pense-t-il la même chose de son propre acteur, Gael García Bernal? Tout porte bien sûr à penser que non.

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