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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Valse avec Bachir - Waltz with Bashir
d'Ari Folman
Israël, 2008, 1h27

Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse aux enseignants du secondaire qui verront le film Valse avec Bachir avec leurs élèves (à partir de quinze ans environ). Il contient plusieurs animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après la vision du film.

Le propos du film

Valse avec Bachir, comme tout autre film, peut être abordé de différents points de vue qui dépendront des connaissances mais également des opinions des différents spectateurs. Certaines de ces approches risquent cependant d'être unilatérales, partielles et parfois partiales: ainsi, si certains spectateurs — notamment les plus jeunes — ne connaissent pas ou connaissent mal ce qui s'est passé au Liban en 1982, il est clair cependant que Valse avec Bachir ne peut pas être considéré comme un reportage ou un documentaire, ni encore moins une révélation sur les massacres de Sabra et Chatila dont on voit les images terribles à la fin du film. Loin d'être ignorés ou cachés, ces événements ont eu une répercussion immédiate[1] dans les médias du monde entier, et le cinéaste s'adresse donc à des spectateurs dont un grand nombre sait dès le début du film (même de façon partielle) ce que signifient les mots Sabra et Chatila.

Objectif et méthode d'animation

L'objectif de l'animation proposée ici sera de mener une réflexion sur le propos de l'auteur du film, qui n'est pas explicité en tant que tel et qui doit être reconstitué à partir des différents éléments filmiques comme les interventions des personnages, les images mises en scène, les morceaux d'histoires racontées mais aussi des détails apparemment plus accessoires comme les musiques utilisées ou le style graphique de ce dessin animé[2]. Pour mener cette réflexion, l'on propose de comparer Valse avec Bachir avec d'autres films (ou genres de films) dont il pourrait être rapproché mais dont il se distingue néanmoins facilement.

Les participants seront par exemple répartis en trois groupes de discussion qui compareront le film d'Ari Folman avec

  • un documentaire ou un reportage télévisuel
  • un film de fiction (par exemple un film d'action)
  • un dessin animé

La comparaison portera aussi bien sur les thèmes du film que son esthétique ou sa mise en forme. On recherchera les différences entre ces «objets» — de façon à caractériser l'originalité propre de Valse avec Bachir — mais également les ressemblances — car l'originalité n'est jamais absolue —.

Enfin, après avoir décrit ces différents traits, on essaiera de les interpréter en fonction du propos supposé de l'auteur, tel qu'on peut le reconstituer grâce aux éléments ainsi observés.

Dans les trois encadrés des pages qui suivent [seul le premier de ces encadrés est reproduit sur cette page web], on trouvera des analyses menées dans cette optique: elles pourront être remises aux participants si leur première réflexion se révèle trop pauvre, ou pour les confronter aux leurs propres.


1. Les massacres se sont déroulés du jeudi 16 septembre 1982 au samedi matin 18 quand le général israélien Yaron a ordonné au chef des phalangistes de retirer ses troupes des camps. Des employés de la Croix Rouge et des journalistes y pénètrent alors et en découvrent toute l'horreur dont ils diffusent les images aux différentes télévisions. En France, par exemple, le journal télévisé d'Antenne 2 montre en ouverture de son édition du soir (le 18) un reportage en images sur ces événements (puis un second le 19). L'émotion est considérable et les condamnations unanimes dans le monde. En France encore, le surlendemain (le 20) a lieu une manifestation à Paris rassemblant plus de 10000 personnes avec le slogan «Halte aux massacres — Paix au Liban». Les «phalanges chrétiennes» sont immédiatement désignées comme les auteurs de ces tueries, mais les médias occidentaux restent beaucoup plus vagues sur les responsabilités israéliennes.
En Israël, ces images sont également montrées, suscitant émotions et polémiques politiques. Le gouvernement israélien doit alors mettre sur pied une commission d'investigation, dirigée par le juge Kahane, Président de la Cour Suprême: elle concluera en février 83 à la responsabilité directe des miliciens phalangistes, mais mettra également en cause plusieurs responsables politiques et militaires israéliens pour avoir autorisé l'entrée de ces milices dans les camps. Principale de ces personnalités, le ministre Ariel Sharon sera alors contraint de démissionner.

2. On considérera ici l'auteur du film comme une «figure textuelle» reconstruite à partir des différents élément filmiques: le film est évidemment le résultat d'un processus créatif intentionnel (même s'il reste partiellement implicite ou inconscient). En ce sens, l'auteur ne se confond pas avec le cinéaste, personne réelle qui peut donner par exemple dans des interviews des interprétations divergentes de son film.

Valse avec Bachir, un documentaire?

Vérité objective/vérité subjective

Valse avec Bachir présente certaines caractéristiques d'un documentaire, en particulier le recours à des interviews de personnes ayant participé aux événements évoqués. Comme dans un documentaire historique, l'on retrouve également un écart très sensible entre le présent, apparemment apaisé —celui des personnes interviewées—, et le passé vécu de façon dramatique, souvent brute, absurde et violente.

En revanche, il est beaucoup plus rare dans un documentaire que l'investigation conduite par le cinéaste porte sur sa propre personne et ses propres souvenirs: généralement, le documentariste opère une nette coupure entre lui-même et les individus qu'il filme ou les faits qu'il évoque. Ari Folman, cinéaste d'aujourd'hui (en 2008), mène quant à lui une enquête sur ce qu'il faisait personnellement pendant la guerre du Liban en 1982 et sur ce qu'ont vécu ses compagnons d'armes à ce moment. Ainsi, son film traduit un point de vue très subjectif puisque le cinéaste essaie de reconstituer des souvenirs qui se sont apparemment effacés.

Ari Folman ne vise donc pas à raconter de façon objective ce qui s'est passé au Liban en 1982, en particulier les massacres de Sabra et Chatila, et il suppose au contraire que les spectateurs du film aient une connaissance minimale de ces événements. Lui-même «sait» d'ailleurs ce qui s'est alors passé, mais il le sait de façon «intellectuelle», «abstraite», verbale, comme il aurait pu l'entendre à la radio ou le voir à la télévision, alors qu'il cherche au contraire à retrouver la réalité concrète, vivante de ses propres souvenirs. L'enquête qu'il mène porte donc moins sur les faits objectifs, tels qu'ils sont aujourd'hui connus, que sur sa propre vérité subjective à présent masquée par ce qu'on appelle un «souvenir-écran», cette image de lui-même et de quelques autres soldats sortant de la mer nus face aux bâtiments bombardés de Beyrouth au milieu de la nuit. Sa démarche consiste alors à se servir des témoignages de ses anciens compagnons pour essayer de retrouver ses propres souvenirs.

Bribes de souvenirs et émotions

Ainsi par rapport à un documentaire classique, tel qu'on pourrait l'imaginer sur les massacres de Sabra et Chatila, on pourrait dire que Valse avec Bachir «tourne autour du pot»: si la «trajectoire» du film culmine effectivement avec les images de ces massacres, la plus grande partie est consacrée aux différents souvenirs des uns et des autres de la guerre au Liban en 1982. Mais ce qui intéresse Ari Folman, ce sont sans doute moins les faits objectifs que les impressions subjectives, les émotions, les sentiments que traduisent ces souvenirs: ainsi, le retour du soldat Ari Folman en permission n'a que peu d'intérêt objectif (il était seul, il est sorti en boîte) mais une grande valeur subjective puisqu'il révèle l'écart entre la vie quotidienne des civils israéliens et les sentiments violents ressentis par les soldats sur le front. La logique du récit est d'ailleurs ici celle de l'association des souvenirs puisque, voyant les civils indifférents autour de lui, Ari se souvient de sa propre enfance où lui-même vivait dans la peur des bombardements d'une autre guerre: le film passe ainsi d'une idée à l'autre, d'un souvenir à l'autre avec des liens objectifs très ténus (il passera ainsi de ses propres souvenirs de permission à ceux de son père soldat sur le front soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale qui n'a eu le droit d'embrasser sa femme sur un quai de gare que pendant un bref instant).

La guerre au Liban n'est donc pas racontée de façon «objective» mais par une accumulation de fragments subjectifs, par une multiplicité de récits individuels qui ne forment pas une trame historique continue: ce sont des souvenirs sans doute marquants (un enfant tirant au lance-roquettes sur un blindé israélien), souvent exceptionnels, marqués parfois par l'étrange ou le surréalisme (les habitants de Beyrouth assistant comme au spectacle à l'échange de tirs), quelquefois insignifiants (Ari en permission regardant l'image du Premier Ministre Begin sur les écrans de télévision dans une vitrine de magasin) mais toujours teintés d'une forte dimension subjective. On se souviendra notamment de ce rêve du soldat en bateau qui se voit emporté par un grand corps de femme opale sur la mer: une telle image serait évidemment impensable dans un documentaire traditionnel.

Le sens des souvenirs

Si l'on compare les différents souvenirs mis en scène, il est alors sans doute possible de les interpréter de façon similaire: la grande majorité d'entre eux montrent des soldats dépassés par les événements, à qui il arrive des choses auxquelles ils ne s'attendaient pas et auxquelles ils n'ont su que difficilement faire face. C'est le cas par exemple de ce tankiste dont le chef de char est abattu puis le char détruit et qui ne s'échappe que par miracle sans avoir pu opposer la moindre résistance ni porter le moindre secours à ses compagnons. La guerre a été vécue comme un choc, un traumatisme qui laisse ces hommes désemparés, en proie à des cauchemars comme ce rêve effrayant en ouverture du film montrant une meute de chiens aboyant et hurlant jusque sous la fenêtre de Boaz chargé pendant la guerre d'abattre les chiens aux abords des villages libanais. Même la séquence qui donne son titre au film où l'on voit Frenkel traverser avec un fusil-mitrailleur à la main une rue sous le feu ennemi et se mettre à danser tout en tirant dans tous les sens révèle la folie qui s'est emparée à ce moment de cet homme racontant pourtant très calmement les événements: Frenkel qui semble aujourd'hui très sûr de lui a été confronté à une situation intenable le poussant alors à un comportement absurde, presque suicidaire (même s'il a survécu). D'autres en revanche restent profondément marqués par ce qu'ils ont vécu et qu'ils ne parviennent pas à surmonter comme ce soldat qui n'aurait voulu être qu'un photographe sur les champs de bataille mais qui ne peut faire face à l'horreur des cadavres de chevaux sauvagement abattus.

Mais un autre sentiment se dégage si l'on confronte ces différents souvenirs: le remords par rapport à ce qu'on a fait ou laissé faire. C'est le cas dans plusieurs séquences marquantes comme celle du débarquement aux abords d'une plage où les soldats se mettent à tirer sans fin sur un véhicule qu'ils supposent ennemi. Au matin, quand le calme est revenu, l'un d'entre eux découvre que les cadavres dans l'auto sont ceux d'une famille civile. La séquence dans l'oliveraie peut laisser une impression plus ambivalente puisque les militaires israéliens répliquent ici à un tir ennemi, mais la découverte que le tireur n'est qu'un enfant finalement abattu sans pitié est un signe de la cruauté et de l'absurdité de cette guerre déclenchée par Israël. C'est l'impression que donnent également certains souvenirs du tankiste qui part joyeusement à la guerre, convaincu d'être protégé par le blindage de son char, mais les premières images de son périple montrent comment ces chars n'hésitent pas à écraser sous leurs chenilles les voitures stationnées dans les rues trop étroites des villes libanaises: on peut penser que le regard du tankiste sur ces événements a changé et qu'il est à présent conscient de la brutalité de cette action soulignée d'ailleurs par un gros plan de la caméra sur les chenilles écrasant une auto. Bien entendu, le cauchemar des chiens réveillant Boaz traduit également le remords de ce soldat qui ne voulait pas tirer sur des êtres humains et qui fut contraint d'abattre des animaux innocents.

Mais le sentiment de culpabilité le plus fort est sans aucun doute celui qui émerge au terme de la quête d'Ari Folman et qui le concerne au premier chef: lorsqu'il parvient à dépasser le souvenir-écran, il se rappelle l'émotion qu'il a alors ressentie quand les femmes palestiniennes sortant du camp se sont précipitées en sa direction, mais il se souvient aussi de son rôle exact pendant la nuit précédente qui consistait à lancer des fusées éclairantes au-dessus des camps, facilitant ainsi l'action des miliciens phalangistes. Mise explicitement en parallèle avec la liquidation du ghetto de Varsovie par les nazis, l'évocation de ces événements de façon délibérément subjective pose donc la question des responsabilités israéliennes dans la guerre de 82 et des traces qu'elle a laissées dans l'ensemble de la société.

La mise en scène

On retrouve dans la mise en scène de Valse avec Bachir des éléments courants dans le documentaire comme le recours à des interviews de témoins des événements évoqués. Mais les faits ainsi racontés sont mis en images par le cinéaste et ses collaborateurs et font donc l'objet d'une reconstitution en partie fictive, même si elle peut paraître très réaliste: en cela, le film d'Ari Folman semble se rapprocher d'un genre télévisuel récent, le «docu-fiction», qui alterne témoignages authentiques et mise en scène des événements historiques ainsi évoqués. Mais Valse avec Bachir s'en distingue néanmoins par l'importance donnée aux émotions ressenties, aux rêves, à l'imaginaire, à la subjectivité de la perception, alors que le «docu-fiction» prétend en général présenter les faits de manière objective. Dans un tel docu-fiction, on ne trouverait certainement pas un cauchemar comme celui des chiens pourchassant Boaz ou un rêve éveillé comme celui d'Ari à l'aéroport de Beyrouth qui s'imagine prêt à partir en voyage dans un des avions stationnés sur le tarmac qu'on découvre bientôt complètement détruits par la guerre comme l'ensemble du terminal.

Le recours au dessin animé plutôt qu'à la mise en scène d'acteurs interprétant un rôle permet sans doute aux spectateurs de ne jamais oublier totalement que la réalité montrée est toujours celle des souvenirs qui diffractent de façon plus ou moins importante les événements vécus. C'est explicitement dit par le soldat embarqué dans ce qu'il pense être un yacht civil mais qui devait être une vedette militaire; l'explosion de ce bateau — alors que lui-même flotte sur un grand corps féminin — est également évoquée comme un fait probablement rêvé. Mais bien d'autres événements sont marqués par la subjectivité du souvenir comme cette roquette tirée par un enfant mais qui atteint le blindé israélien au ralenti d'une façon qui ne peut être qu'imaginée. Semblablement, la séquence où Ari conduit des blessés et des morts «vers la lumière» semble presque irréelle jusqu'à ce qu'on comprenne qu'il s'agit en fait d'une zone d'atterrissage pour les hélicoptères. On peut donc sans doute parler d'une réalité hallucinée comme dans un rêve mis en images: le mélange entre souvenirs réels et reconstitués est ainsi souvent inextricable.

Seule la dernière séquence est constituée d'images authentiques prises par des caméramans sur les lieux des massacres: la réalité insoutenable est alors plus forte que tous les souvenirs plus ou moins reconstitués.

Valse avec Bachir, quelle part de fiction?

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Valse avec Bachir, un dessin animé

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