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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par les Grignoux et consacré au film
Même la pluie
d'Icíar Bollaín
France/Mexique/Espagne, 2011, 1h43

Le dossier pédagogique dont on trouvera un extrait ci-dessous s'adresse notamment aux enseignants du secondaire qui verront le film Même la pluie avec des jeunes spectateurs entre treize et dix-huit ans environ. Il retiendra également l'attention des animateurs en éducation permanente qui souhaitent mener une réflexion autour de ce film et de ses principaux thèmes avec un large public.
Le dossier comprend plusieurs parties qui correspondent à autant de pistes d'exploitation possibles : en fonction de ses intérêts et de ceux du public auquel il s'adresse, l'enseignant ou l'animateur retiendra sans doute l'une ou l'autre de ces pistes, même s'il est tout à fait possible de parcourir l'ensemble des animations proposées. Les deux animations proposées ci-dessous proposent d'abord de revenir sur les principales opinions que peut susciter le film, puis de s'interroger sur les intentions générales de sa réalisatrice ainsi que de son scénariste.

Premières impressions

L'une des caractéristiques principales de Même la pluie est de mélanger des images qui appartiennent à des niveaux narratifs différents. Cette particularité est susceptible de décontenancer au moins une partie du public scolaire, sans doute peu habitué à ce genre de pratique cinématographique. Il sera dès lors important de réserver une première animation aux échanges spontanés qu'aura suscités la vision du film :

  • Comment les participants ont-ils reçu Même la pluie? Le film leur a-t-il plu?
  • Qu'est-ce qui les a le plus interpellés dans ce film : est-ce plutôt
    • sa construction (avec un film dans le film, un making of du film dans le film et les coulisses du tournageŠ)?
    • la manière de traiter le sujet de l'exploitation des Indiens d'Amérique latine par les Occidentaux?
    • le portrait des différents personnages de l'histoire?
    • la réflexion sur l'engagement que suscite le film?

S'il le souhaite, l'enseignant ou l'animateur pourra également demander aux participants d'examiner individuellement la liste des opinions suivantes. Il s'agira d'exprimer un point de vue sur Même la pluie en choisissant l'opinion avec laquelle on est le plus d'accord, l'objectif étant de faciliter une réflexion critique sur le film.

Quelques opinions à propos de Même la pluie

Voici différentes opinions sur le film Même la pluie d'Icíar Bollaín. Pour chacune de ces opinions, pouvez-vous dire si vous êtes d'accord ou non avec elle? (On vous propose une échelle d'évaluation à cinq échelons : «pas du tout d'accord»[0], «plutôt pas d'accord»[1], «sans avis»[2], «plutôt d'accord»[3], «tout à fait d'accord»[4].) Essayez ensuite de trouver des éléments du film qui justifient d'après vous l'opinion (ou les opinions) dont vous vous sentez le plus proches.

  1. Avec un «film dans le film» et la mise en parallèle de deux époques éloignées dans le temps, Même la pluie est un film compliqué, qui exige du spectateur un effort de concentration trop important, qui nuit au plaisir de le regarder.
    • pas du tout d'accord [0]
    • plutôt pas d'accord [1]
    • sans avis [2]
    • plutôt d'accord [3]
    • tout à fait d'accord [4]
  2. L'idée du scénariste de rapprocher deux époques éloignées dans le temps est brillante; cela permet de jeter un éclairage original sur la condition des Indiens au fil du temps.
    • pas du tout d'accord [0]
    • plutôt pas d'accord [1]
    • sans avis [2]
    • plutôt d'accord [3]
    • tout à fait d'accord [4]
  3. La construction du scénario, trop intellectuelle, ne laisse pas de place à l'émotion. Comme il est souligné dans la revue Les Inrockuptibles, «Même la pluie reste au ras de son scénario psychologique, à l'étroit dans sa morne logique de fiction de gauche.».
    • pas du tout d'accord [0]
    • plutôt pas d'accord [1]
    • sans avis [2]
    • plutôt d'accord [3]
    • tout à fait d'accord [4]
  4. En inscrivant l'histoire de Christophe Colomb dans un contexte récent, les scénariste et réalisatrice évitent le piège du film d'époque, détaché de notre réalité et des préoccupations d'aujourd'hui. Le spectateur se sent davantage concerné par le propos du film.
    • pas du tout d'accord [0]
    • plutôt pas d'accord [1]
    • sans avis [2]
    • plutôt d'accord [3]
    • tout à fait d'accord [4]
  5. Même la pluie est un film trop démonstratif. C'est un «réquisitoire contre la mondialisation», qui utilise un épisode de l'histoire à des fins de propagande. En réalité, les deux événements comparés dans le film n'ont pas grand-chose à voir.
    • pas du tout d'accord [0]
    • plutôt pas d'accord [1]
    • sans avis [2]
    • plutôt d'accord [3]
    • tout à fait d'accord [4]
  6. Même la pluie est un film démonstratif. C'est un «réquisitoire contre la mondialisation» (selon Le Journal du dimanche), qui utilise un épisode de l'histoire à des fins de conscientisation. C'est une bonne manière de développer notre esprit critique, de nous faire réfléchir aux différentes manières dont on peut relater les mêmes événements.
    • pas du tout d'accord [0]
    • plutôt pas d'accord [1]
    • sans avis [2]
    • plutôt d'accord [3]
    • tout à fait d'accord [4]
  • Des arguments en faveur de votre opinion :
     
     
     

Le contre-pied de l'Histoire

A priori, l'on pourrait penser que la démarche des auteurs du film trouve son origine dans leur volonté d'attirer l'attention des spectateurs sur le problème de la privatisation de l'eau en Bolivie et que la référence à la conquête espagnole vient à l'appui de leur thèse. Or c'est précisément l'inverse qui s'est produit, Paul Laverty ayant confié dans le cadre d'une interview qu'il souhaitait depuis longtemps écrire un scénario sur le débarquement de Christophe Colomb aux Antilles. L'idée de la guerre de l'eau à Cochabamba est en réalité venue dans un second temps et a été intégrée au scénario grâce au procédé de la mise en abyme, qui apparaît donc ici comme une sorte de subterfuge destiné à actualiser le propos historique et éviter le film de genre, trop éloigné de notre monde moderne et de ses préoccupations.

Même la pluie, qui met donc en parallèle deux périodes de l'histoire relativement éloignées dans le temps, a nécessité une approche documentée des réalités qu'il confronte. Alors que, dans nos pays occidentaux, la récente guerre de l'eau menée par les habitants des quartiers pauvres de Cochabamba est un fait pratiquement inconnu du grand public, la «Conquête» de l'Amérique et le personnage de Christophe Colomb, premier Européen à être parvenu sur le continent américain à la fin du XVe siècle, comptent parmi les références acquises dès l'école primaire. Les participants auront sans doute remarqué qu'en mettant l'accent sur le point de vue de personnalités moins connues comme Antonio de Montesinos, Bartolomé de las Casas ou le chef indien Hatuey, Icíar Bollaín et son scénariste Paul Laverty donnent de ce navigateur conquérant une image beaucoup moins glorieuse et héroïque que celle transmise par les manuels scolaires.

L'objectif de l'activité suggérée ici sera d'amener les participants non pas à procéder à une comparaison stricte (mais sans doute un peu vaine et fastidieuse dans le cadre de l'enseignement secondaire ou de l'éducation permanente) de deux versions de l'histoire mais bien de les faire réfléchir aux intentions de la réalisatrice Icíar Bollaín et de son scénariste Paul Laverty lorsqu'ils ont choisi de montrer autrement un fait historique unanimement reconnu comme un «grand» événement dans la construction du monde contemporain.

Concrètement

Commençons par présenter Icíar Bollaín et Paul Laverty en quelques mots :

Icíar Bollaín, cinéaste, et Paul Laverty, scénariste Scénariste écossais, Paul Laverty est bien connu pour son engagement en faveur des plus démunis. Dans les années 1980, il voyage en Amérique Latine et en particulier au Nicaragua, où il s'implique dans plusieurs associations humanitaires. Dès son retour en Europe, cette expérience lui donne l'envie de réveiller les consciences par le cinéma; il se tourne alors vers Ken Loach, réalisateur britannique profondément investi dans la défense des causes sociales. Ensemble, ils signeront pas moins de neuf films, dont Route Irish (2009), Looking for Eric (2007), Le Vent se lève (2006) Sweet Sixteen (2000) ou encore Carla's Song (1996), le premier film qu'ils ont réalisé ensemble et qui est directement inspiré de son expérience en Amérique centrale.
C'est en 1994, sur le tournage du film de Ken Loach Land and Freedom, où ils tiennent tous les deux un rôle, que Paul Laverty rencontre Icíar Bollaín, actrice-réalisatrice espagnole qui deviendra sa compagne. Celle-ci a notamment réalisé Ne dis rien (Te doy mis ojos) sorti en 2003 et consacré à la violence conjugale. De manière générale, avant la sortie de Même la pluie, on retrouve dans son œuvre une sensibilité particulière à la condition des femmes.

Soumettons ensuite aux participants les trois propositions suivantes, à examiner en petits groupes de réflexion en fonction des éléments du film dont ils se souviendront.

Les intentions d'Icíar Bollaín et de Paul Laverty

Dans Même la pluie, Icíar Bollaín et Paul Laverty donnent de Christophe Colomb une autre image que celle que nous connaissons. Ils se fondent pour cela sur le point de vue d'hommes qui ont été témoins des exactions commises par les Espagnols quand ils sont arrivés aux Antilles. À votre avis, pourquoi ont-ils choisi de réhabiliter ce point de vue? Tâchez de trouver des arguments pour justifier votre avis en vous référant à des éléments du film.

  • Par devoir de mémoire : pour commémorer les victimes de la conquête et de la colonisation espagnoles et rendre hommage à des personnages morts pour leur combat en faveur de la justice et des plus faibles.
  • Par souci de vérité historique : pour contrecarrer une version épurée de l'histoire, fondée sur le seul point de vue des conquérants.
  • Pour dénoncer cinq siècles de domination occidentale dans les rapports Nord/Sud et donner de la profondeur à des événements contemporains, sensibiliser le spectateur à une cause importante.

Le débat se clôturera enfin sur une dernière question qui exigera des participants une certaine argumentation : Même la pluie est-il plutôt un film historique ou plutôt un film politique?

Cette confrontation d'idées devrait introduire naturellement l'animation suivante, consacrée à la construction du point de vue des scénariste et réalisatrice sur les réalités qu'ils évoquent dans Même la pluie.

Commentaire

On peut dire globalement que la première proposition indique une intention d'ordre éthique. Il s'agit en effet de se souvenir d'un événement passé avec une attention particulière accordée aux victimes (comme le sont les Indiens Taïnos dans le film) et au leader du mouvement de révolte contre leur oppresseur (Hatuey). Ce type d'intention rejoint le point de vue défendu par Howard Zinn, l'auteur américain d'Une histoire populaire des Etats-Unis, lorsqu'il dit : «L'histoire de n'importe quel pays, présentée comme une histoire de famille, dissimule les plus âpres conflits d'intérêts (qui parfois éclatent au grand jour et sont le plus souvent réprimés) entre les conquérants et les populations soumises, les maîtres et les esclaves, les capitalistes et les travailleurs, les dominants et les dominés, qu'ils le soient pour des raisons de races ou de sexes. Dans un monde aussi conflictuel, où victimes et bourreaux s'affrontent, il est, comme disait Albert Camus, du devoir des intellectuels de ne pas se ranger aux côtés des bourreaux.».

La seconde proposition relève quant à elle d'une intention qui est d'ordre plutôt scientifique. Le souci de vérité historique se trouve en effet à la base du travail de l'historien et, dans le contexte de cette recherche de la vérité, les documents authentiques, traces et témoignages divers occupent bien sûr une place importante. Mais le travail de l'historien ne consiste pas simplement à collecter des documents; encore faut-il qu'il effectue un tri dans les informations qu'il recueille et qu'il établisse des relations (chronologiques, de cause à effetŠ) entre les faits relatés. C'est dans cette sélection d'informations et la manière de les organiser que se situe la part de subjectivité qui caractérise le travail de l'historien. Pour réduire au maximum cette part de subjectivité, l'historien se doit d'accorder une importance identique à toutes les sources qui existent concernant un même fait, indépendamment de ses convictions personnelles ou des intérêts «supérieurs» de l'une ou l'autre des parties. Dans le cas de Même la pluie, il s'agit de réhabiliter un point de vue jusqu'à récemment ignoré (ou minimisé) par la «Grande Histoire», afin de parvenir à une plus grande objectivité.

Enfin, la troisième proposition indique une intention clairement politique. Il s'agit d'abord d'utiliser un événement ‹ ou plutôt un ensemble d'événements ‹ historique(s) pour donner de la profondeur à une situation contemporaine, en construisant entre les deux périodes un parallèle. Cette option implique que soient détectées un certain nombre de ressemblances, qui peuvent porter sur les événements eux-mêmes mais aussi et surtout sur les rapports de force en présence. En ce qu'elle permet de mettre en évidence la perpétuation de ces rapports de force et par conséquent une certaine stagnation politique, la comparaison effectuée prend alors d'autant plus de poids qu'elle porte sur une période plus ou moins longue (ici, cinq siècles). Dans le cas de Même la pluie, ce sont les valeurs négatives associées à un rapport de force déséquilibré (répression, violence, exploitation,Š) qui servent de fondement à la construction des ressemblances entre les deux époques. Il y a donc à la base un choix délibéré de faire passer un message, de conscientiser sinon de convaincre le spectateur.

On peut dire pour conclure qu'à des degrés divers, les trois types d'intention peuvent expliquer le projet des auteurs du film, qui se rangent clairement aux côtés des victimes et de leurs défenseurs (intention éthique) et qui se réfèrent à des documents authentiques (le sermon d'Antonio de Montesinos, les ouvrages de Bartolomé de las Casas) pour jeter un nouvel éclairage sur une page de l'Histoire partiellement falsifiée (intention scientifique). Lorsqu'on connaît le travail antérieur de Paul Laverty, son implication aux côtés des plus faibles et sa volonté de réveiller les consciences, il est toutefois clair que l'intention politique de dénoncer la longue domination occidentale sur le reste du monde se trouve à la base du projet qu'il a développé en collaboration avec Icíar Bollaín. Alors même qu'au départ, la guerre de l'eau s'est intégrée au scénario pour actualiser le thème principal du film, elle en est devenue un élément central qui fait de Même la pluie un vrai réquisitoire contre la mondialisation et la privatisation des services publics, comme l'évoque d'ailleurs sans ambiguïté le titre-même du film.

Enseignants et animateurs trouveront à la page suivante des documents iconographiques complémentaires au dossier imprimé.

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