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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
Pas son genre
de Lucas Belvaux
France, 2014, 1 h 51

Ce dossier pédagogique consacré au film Pas son genre s'adresse notamment aux enseignants du secondaire et aux animateurs en éducation permanente qui souhaitent prolonger la vision de ce film avec un public d'adolescents (à partir de quatorze ans environ) ou d'adultes. Il propose plusieurs animations qui portent sur les principaux aspects du film et qui pourront être mises en œuvre rapidement après la projection. L'animation reprise ci-dessous porte plus particulièrement sur trois scènes significatives du film qui méritent une interprétation plus approfondie.

À propos du scénario: trois situations à interpréter

Objectifs

  • Interpréter les réactions des personnages en fonction de leur psychologie, de leur histoire, de leurs attentes et motivations;
  • Améliorer la compréhension du film et mettre en particulier l'accent sur la dynamique de l'intrigue

Photo du filmMéthode

Dans un premier temps, l'on pourra interroger les participants de manière générale. Les comportements des personnages ne sont pas toujours évidents à interpréter dans Pas son genre.

Les spectateurs ont-ils été déroutés par certains comportements ou attitudes des personnages? Peuvent-ils citer ces scènes, répliques ou attitudes qui les ont déroutés? Dans un second temps, l'on interrogera les participants sur les trois situations critiques suivantes. Si on le souhaite, on peut leur proposer de désigner, parmi les images du dossier, celles qui leur semblent correspondre au mieux à ces trois scènes.

1. Un livre écrit par Clément

Jennifer découvre par hasard dans une librairie un essai philosophique intitulé De l'amour (et du hasard) signé Clément Le Guern.

Comment réagit-elle dans un premier temps? Et ensuite? Que pensent les spectateurs de sa réaction?
Estiment-ils qu'elle exagère ou comprennent-ils sa colère? Que se passe-t-il dans la tête de Jennifer à ce moment-là selon eux?
2. La fête des Géants

Photo du filmLors de la Fête des Géants, Jennifer et Clément croisent des connaissances. D'abord deux garçons que Jennifer présente par leurs prénoms à Clément. Ils rencontrent ensuite la collègue de Clément qui lui présente son mari, Henri Pasquier-Legrand, avocat au barreau de Lille ainsi que leurs deux enfants, Bérénice et Blaise. Clément ne procédant pas en retour aux présentations, les deux femmes se présentent elles mêmes, à l'initiative de Jennifer.

Que se passe-t-il à cet instant? Perçoit-on un malaise? À quoi est-il dû? Se souviennent-ils de la manière dont il est traduit à l'écran? Cette situation aura-t-elle des répercussions sur la suite de leur histoire? Lesquelles?
3. Jennifer disparue

Clément attend Jennifer avec un bouquet de roses à la sortie du salon. Kathy sort la dernière et ferme la porte derrière elle: Jennifer a démissionné et a quitté la ville, sans rien dire à personne. Elle avait juste raconté à ses amies qu'elle partait une semaine à Djerba avec Clément, à qui elle avait dit partir au même endroit une semaine avec ses amies. L'instant d'après, l'appartement de Jennifer vidé de ses meubles, de sa décoration, de ses couleurs apparaît à l'écran. Deux coups de sonnette, dont on imagine qu'ils sont donnés par Clément, retentissent froidement dans le vide.

Pourquoi Jennifer a-t-elle menti à Clémentet à ses amies?
Que pensent les participants de la fin du film? Comment interprètent-ils le geste de Jennifer?

Les commentaires présentés ci-dessous pourront être soumis aux participants pour lancer ou relancer la réflexion.

Commentaires

1. Un livre écrit par Clément

Photo du filmAu début de cette scène, Jennifer est, comme à son habitude, souriante et enjouée lorsqu'elle apporte au comptoir un roman qu'elle a choisi et qu'elle dédicace à son «chaton philosophe». Le temps que la vendeuse en achève l'emballage cadeau, Jennifer retourne se balader dans les rayons. Son regard se pose alors sur la couverture unie jaune d'un pavé agrémentée de la photo de son auteur: Clément Le Guern. L'expression de son visage change aussitôt: elle se ferme, se durcit. Elle apporte le livre au comptoir et l'achète, la vendeuse ne manquant pas de lui faire remarquer que «Ce n'est pas le même genre!». Le commentaire de la vendeuse concernait peut-être le genre littéraire de l'œuvre mais il résonne tout autrement et sans doute cruellement aux oreilles de Jennifer et du spectateur.

Plusieurs éléments entrent sans doute ici en ligne de compte pour comprendre la réaction de Jennifer. Elle ne peut sans doute pas avoir immédiatement saisi le sens du livre où Clément réaffirme son refus de tout engagement amoureux. Mais, sans même avoir compris cela, elle sait bien que l'écriture d'un livre est une chose très importante, en particulier pour un jeune philosophe comme Clément. Or il l'a exclue totalement de cette part essentielle de sa vie en ne lui montrant pas cet ouvrage, et en ne lui en parlant même pas Elle a sans aucun doute immédiatement compris qu'il ne s'agissait pas seulement d'un oubli ou d'un silence mais d'un véritable mensonge par omission.

Le contenu du livre (lu ultérieurement) devrait également faire douter Jennifer des sentiments que Clément a pour elle. Il ne l'avait en effet pas contredite lorsqu'elle lui avait fait part de ses sentiments lors du souper dans ce restaurant chic de la côte, ainsi que du fait qu'elle croyait ferme au destin car leur rencontre ne pouvait être due au seul hasard. À présent (même si ce moment n'est pas montré en tant que tel), elle devrait découvrir qu'il pense exactement le contraire et davantage: le couple incarne pour lui le tombeau de l'amour. Dès lors, elle se sent trahie et ne manque pas de demander des comptes à Clément, qui sera incapable de lui en donner.

2. La fête des Géants

Photo du filmClément reste cruellement muet devant sa collègue, son mari avocat et leurs deux enfants bien-nés au moment de présenter Jennifer, coiffeuse à Arras. Jennifer s'est par ailleurs déguisée pour la fête: elle porte un chapeau à fleurs colorées, des gants de couleurs, ce qui n'est pas le cas des Pasquier-Legrand ni de Clément qui sont sobres et élégants, à leur habitude. Clément semble mesurer à cet instant le gouffre social qui les sépare, lui et ses semblables, de la petite coiffeuse au prénom anglo-saxon et aux cheveux décolorés. Par la même occasion, Jennifer le mesure tout autant.

Plusieurs sentiments se bousculent certainement chez la jeune femme, mais le plus fort est sans aucun doute la désillusion: Jennifer comprend que Clément a honte d'elle, il est honteux qu'on puisse croire qu'il sort avec une jeune femme comme elle. Et s'il en a honte, c'est parce qu'il considère qu'elle est inférieure, qu'elle lui est inférieure, qu'elle est inférieure au monde auquel il appartient, et qu'il vaut en définitive mieux qu'elleŠ Alors que toute leur relation était tacitement placée sous le signe de l'égalité, Jennifer est brutalement renvoyée à son infériorité sociale et culturelle. Mais cela signifie aussi que Clément n'a pas l'intention de s'engager avec elle, qu'elle n'est qu'une parenthèse dans sa vie comme l'est son séjour forcé à Arras. Les silences de Clément avaient bien valeur de mensonge, alors que Jennifer s'est entièrement donnée à lui, amoureusement et sentimentalement, alors qu'elle entendait bien que ce don soit réciproque. La jeune femme est non seulement humiliée devant des tiers, mais elle se sent également trahie, trahie par rapport à tout ce qui faisait le sens de sa vie.

À l'écran, la fracture qui survient entre eux se traduira alors par l'utilisation d'un ralenti et de plans rapprochés sur les deux personnages. Ils apparaissent isolés l'un de l'autre mais aussi du reste de la foule qui se compose presque exclusivement des marionnettes géantes à ce moment-là. Cette fois, le visage de Jennifer ne se ferme pas tout de suite, son sourire s'estompe un peu, pour continuer à faire bonne figure en ce jour de fête. Mais ce sourire disparaîtra complètement des scènes suivantes pour laisser la place à un visage froid et fermé exprimant colère, tristesse et même indifférence, jusqu'au moment où elle annoncera sans joie à Clément qu'elle part en vacances avec ses copines.

3. Jennifer disparue

Photo du filmJennifer, aussi invraisemblable que cela puisse paraître compte tenu de l'amour qu'elle portait à sa ville, à ses amies et à son travail chez madame Bortolin, a tout plaqué pour disparaître avec son fils on ne sait où. Clément se retrouve face au vide de l'ancien appartement de Jennifer, un vide physique qui apparaît comme une réponse au vide affectif qui le caractérisait face à l'amour sincère de la jeune femme.

La décision abrupte de Jennifer lui permet ainsi de renverser le rapport de forces qui s'était installé dans le couple malgré les apparences: face aux hiérarchies sociales, plus ou moins dissimulées, qui la mettaient en définitive dans une position dominée par rapport à Clément (malgré les faibles dénégations de ce dernier), la fuite est sans doute la seule manière individuelle de mettre fin à une domination masquée derrière le voile de l'amour et des sentiments.

Jennifer échappe ainsi à Clément qui la croyait sans surprise, rendue disponible par son existence réglée à Arras, sans qu'il ait besoin de formaliser son engagement auprès d'elle. La jeune femme a finalement quitté la petite ville de province avant lui, quel qu'en soit le prix à payer pour elle. L'on peut voir ce départ aussi bien comme une «punition» qu'elle infligerait à Clément, que comme une revanche qu'elle prendrait sur lui, même si ce geste est également très cruel pour elle-même.

Photo du film


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