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Extrait du dossier pédagogique
réalisé par Les Grignoux et consacré au film
Le Labyrinthe du silence
Im Labyrinth des Schweigens

de Giulio Ricciarelli
Allemagne, 2014, 2h03

On trouvera ici un extrait du dossier pédagogique consacré au film Le Labyrinthe du silence. Il propose de revenir sur les différents personnages du film qui reflètent différentes attitudes plus ou moins représentées dans l'opinion publique allemande de l'après-guerre.

Dans une seconde partie, l'on trouvera un argumentaire dirigé contre le « négationnisme » (qu'il s'agisse de ceux qui nient spécifiquement l'existence des chambres à gaz ou plus largement du génocide des Juifs par les nazis). Si l'on n'espère pas convaincre ceux qui promeuvent ces thèses mortifères, l'on souhaite apporter une réflexion historique d'ensemble aux personnes de bonne foi qui pourraient être troublées par leurs pseudo-arguments.

Des portraits différenciés

Le Labyrinthe du silence retrace l'instruction qui a permis de mettre sur pied le procès de Francfort tout en décrivant la mentalité de l'Allemagne (du moins de la RFA) dans les années d'après-guerre. Et il met en scène une série de personnages qui sont en rapport ou qui vont être mis en rapport avec la réalité du camp d'Auschwitz. Ce que disent ces personnages, ce qu'ils font, ce qu'ils pensent, ce qu'ils cachent éventuellement, illustrent concrètement des attitudes plus générales qui ont sans doute été partagées par une partie des Allemands des différentes générations.

L'on suggère donc aux spectateurs, après la vision du film, d'expliciter en quoi ces personnages sont représentatifs d'attitudes ou d'opinions plus générales. Pour illustrer cette réflexion, l'on peut aborder en groupe le cas du jeune procureur, personnage principal du film. On se rappellera d'abord ses différents faits et gestes, puis l'on essayera de les interpréter sur un plan plus général, celui d'attitudes et d'opinions d'une fraction de la population allemande.

Un exemple à commenter en grand groupe: le jeune procureur Johann Radmann
Les faits L'interprétation
Il ne sait rien d'Auschwitz. C'est un «naïf», quelqu'un à qui l'Histoire a été complètement cachée, et il est sans doute représentatif d'une grande partie de sa génération qui a grandi après la guerre.
Il est très à cheval sur les principes (la scène du procès de roulage intenté à la jeune femme). Il représente la droiture morale (et la rigueur judiciaire) sans concession face notamment à l'avocat d'un des accusés qui accepte toutes les compromissions.
Il poursuit inlassablement les criminels nazis et en particulier Mengele. L'alternative illustrée ici est celle des procureurs de toutes sortes (chargés donc de poursuivre les criminels) et des policiers persuadés que beaucoup de criminels nazis devaient être condamnés mais qui devant l'ampleur de la «tâche» ont pensé - ou non - qu'il était nécessaire de faire des choix: Johann Radmann veut à tout prix arrêter Mengele alors que les Israéliens vont enlever Adolf Eichmann en Argentine pour le juger parce qu'il est un des organisateurs essentiels de la déportation des Juifs (en particulier hongrois). Pour eux, Mengele est sans doute un criminel mais de moindre importance.
Il est persuadé que son père mort sur le front de l'Est n'était pas nazi. Même lorsque la jeune génération a découvert l'ampleur des crimes nazis, elle a eu beaucoup de difficultés à imaginer que des gens proches (parents, grands-parents) qu'ils aimaient ont pu participer à de tels crimes[a].
Finalement il découvre que «tous» les Allemands de cette époque étaient coupables et il veut renoncer à son métier de procureur. Johann passe «d'un extrême à l'autre», de «Je ne sais rien d'Auschwitz» à «tous coupables!». Cet état d'esprit plus ou moins partagé par les jeunes Allemands dans les années 60 peut expliquer en partie leur révolte «contre l'ancien monde» à cette époque (ce qu'on a appelé la «contestation»).

a. L'on peut à ce propos se reporter à l'ouvrage de Sabine Moller, Karoline Tschuggnall, Harald Welzer, «Grand-Père n'était pas un nazi»: National-socialisme et Shoah dans la mémoire familiale, Paris, Gallimard, 2013. Même si cet ouvrage évoque la situation allemande actuelle, il propose une distinction intéressante entre l'Histoire officielle, telle qu'elle est enseignée dans les écoles, et la mémoire affective des individus qui se transmet surtout par voie familiale. Les deux sont difficilement conciliables, et les jeunes Allemands ont dès lors tendance à innocenter individuellement leurs propres grands-parents.

Dans un second temps, les participants seront invités à passer en revue les différents personnages du film et à interpréter de la même manière en quoi ceux-ci représentent, ou non, une attitude possible de l'opinion publique allemande de l'époque (et peut-être d'aujourd'hui encore). On évoquera notamment:

  • le procureur général Fritz Bauer (un personnage authentique) qui nommera Johann chef d'enquête
  • Marlene Wondrak qui deviendra l'amie de Johann
  • le journaliste Thomas Gnielka (un personnage authentique)
  • Mme Schmittchen, la secrétaire qui travaillera avec Johann
  • le procureur Otto Haller, qui secondera Johann
  • Simon Kirsch, déporté, survivant d'Auschwitz
  • Walter Friedberg, procureur en chef, qui refusera d'enquêter sur l'enseignant soupçonné d'être un ancien gardien d'Auschwitz
  • l'officier américain qui dirige le centre de documentation responsable de la dénazification
  • Hermann Langbein (un personnage authentique), ancien déporté, qui accompagne les témoins au bureau du procureur

Commentaires

Le procureur général Fritz Bauer

Ce personnage à l'air sévère semble au premier abord énigmatique, et l'on se demande s'il ne va pas faire obstacle, comme les autres procureurs, à la volonté d'enquête du jeune Johann. C'est lui pourtant qui le poussera de façon décisive dans cette voie malgré l'hostilité générale. L'on apprendra bientôt que c'est un ancien opposant au nazisme qui s'est réfugié pendant la guerre en Suède.

Il représente donc cette minorité d'Allemands hostiles au nazisme qui ont fui le pays et qui n'y sont revenus qu'après la défaite du régime hitlérien. Mais par plusieurs remarques, il signale qu'il est bien conscient d'être encore entouré d'anciens nazis ou au moins de sympathisants qui ne souhaitent pas que l'on remue le passé. L'on comprend alors qu'il ait choisi un jeune procureur, relativement naïf, pour enquêter sur des crimes que la majorité des Allemands préfèrent oublier. On remarquera également qu'il fait si peu confiance au système juridique et policier de son pays qu'il confie en fait des renseignements essentiels sur Adolf Eichmann et sur le docteur Josef Mengele au Mossad (les services secrets israéliens qui enlèveront Adolf Eichmann en Argentine en 1961 pour qu'il soit jugé en Israël où il sera finalement condamné à mort et exécuté en 1962).

Un désaccord apparaîtra cependant avec Johann qui entreprend des actions maladroites pour arrêter Josef Mengele, le médecin criminel d'Auschwitz. Pour le procureur général, il s'agit moins de traquer un individu précis - aussi graves soient ses crimes - que de faire un procès exemplaire: il veut en effet qu'un tel procès fasse prendre conscience, après des années de silence, à l'Allemagne entière de l'ampleur des crimes nazis. Le procès doit agir comme un révélateur. Et tout le film souligne que la majorité de l'opinion publique allemande de l'époque ne souhaitait pas d'une telle révélation. Victime du nazisme (il a été brièvement incarcéré à cette époque), Fritz Bauer représente une toute petite minorité, sinon une exception, parmi la population allemande, en étant bien décidé à faire la lumière sur les crimes commis par le régime hitlérien.

Marlene Wondrak

Comme Johann, Marlene appartient à la jeune génération, étrangère au régime nazi. Mais, si la majorité de l'opinion publique allemande se signale alors par un conformisme de bon aloi (conservatisme incarné par le parti chrétien-démocrate du chancelier de l'époque Konrad Adenauer dont le nom est cité dans le film), la jeune femme exprime un désir de liberté et d'indépendance, d'«anarchisme» même, qui est, à cette époque, minoritaire et qui contraste avec le respect méticuleux de la loi de Johann: on se souvient d'une des premières séquences où le jeune procureur refuse de «passer l'éponge» sur une infraction qu'elle a commise au code de la route...

Même si ce n'est pas indiqué dans le film, on sait que cette jeunesse rebelle se manifestera, parfois avec violence, dans les années 1960, contestant aussi bien la guerre menée au Viêt-nam par les États-Unis que l'ordre moral conservateur ou la «société de consommation». Les étudiants contestataires mettront en particulier en cause le passé nazi de leurs parents, parlant de «génération Auschwitz» avec qui il est impossible de discuter.

Marlene préfère en revanche ne pas se pencher sur le passé de l'Allemagne et de son père en particulier, et préfère manifestement se tourner vers l'avenir et son travail de couturière et styliste. On peut donc dire qu'elle incarne une partie de la jeunesse allemande qui a sans doute voulu tourner la page dans tous les sens du terme, c'est-à-dire oublier la période nazie et changer de mode de vie par rapport aux parents.

Le journaliste Thomas Gnielka

Thomas Gnielka (1928-1965) est une figure authentique de l'histoire allemande, même si son rôle est sans doute légèrement romancé dans le film. Il est présenté comme un journaliste activiste, acharné à dénoncer les crimes des nazis ainsi que l'impunité dont ils jouissent dans l'Allemagne d'après-guerre. Il participe d'ailleurs au groupe de jeunes protestataires où l'on retrouve Marlene. Et comme Johann, il veut, contre l'opinion majoritaire, faire justice et faire éclater la vérité.

Lors d'une séquence dramatique, il devra néanmoins révéler à Johann que lui aussi a été gardien à Auschwitz et qu'il a donc eu connaissance des crimes qui y ont été commis, même s'il n'y a pas directement participé: comme d'autres très jeunes Allemands embrigadés dans les derniers mois de la guerre, il a été témoin de crimes qu'il n'a pas pu empêcher mais qui l'ont durablement marqué. Cette expérience le poussera en tout cas à une démarche d'activiste décidé à faire la lumière sur les crimes nazis.

Bien que ce ne soit pas dit dans le film, on signalera que Thomas Gnielka a écrit sur son expérience un roman inachevé et publié après sa mort Enfant soldat à Auschwitz. Il y raconte comment, âgé de quinze ans, il a été enrôlé avec ses camarades en 1944 et envoyé dans la région d'Auschwitz-Birkenau. Il a dû notamment garder des prisonniers contraints à des travaux de construction pour la firme IG-Farben. Profondément marqué par cette expérience, il s'engagera après la guerre dans le «groupe 47» réunissant des écrivains comme Günter Grass, Uwe Johnson ou Heinrich Böll, décidés à défendre un idéal démocratique dans l'Allemagne d'après-guerre. Il travaillera par ailleurs pour le journal Frankfurter Rundschau où il couvrira les premières demandes d'indemnisation de survivants de l'Holocauste traitées avec grande réticence par l'administration de Wiesbaden; cela lui a alors donné l'occasion d'entrer en contact avec un ancien détenu qui lui a remis des documents pris à Auschwitz lors de l'évacuation et comprenant une liste de noms de gardiens ayant abattu des prisonniers sans sommation (ce qui était cependant conforme à une ordonnance de la SS). Gnielka a ensuite remis au procureur général Fritz Bauer ces huit feuillets qui devaient constituer un élément important dans l'instruction qui débouchera sur le procès de Francfort.

Mme Schmittchen

La réaction la plus notable de Mme Schmittchen survient lors du premier témoignage dont elle fait la sténographie: elle doit sortir de la pièce, car, bouleversée par ce témoignage, elle ne peut retenir ses larmes. Assez âgée pour avoir connu la période de la guerre, elle n'a sans doute pas eu connaissance - sinon très vague - des crimes commis par les nazis, et elle est donc sincèrement bouleversée par cette découverte. Elle représente ainsi la fraction de la population allemande qui est restée à l'écart du système répressif, concentrationnaire et génocidaire. Le fait qu'elle soit une femme explique en grande partie cet état de fait: comme beaucoup de ses concitoyennes, elle est certainement restée en Allemagne pendant la guerre et n'a vraisemblablement entendu que des rumeurs sur ce qui se passait «à l'Est» où ont été commis l'essentiel des crimes nazis. Les hommes en revanche ont été enrôlés en grand nombre dans l'armée, la Wehrmacht, mais aussi dans les organisations nazies comme la SS, et ont eu une connaissance souvent directe des crimes commis.

Le procureur Otto Haller

Le personnage est assez peu marquant, même si l'on se souvient que, lors de la première séquence, il refuse de s'impliquer - contrairement à Johann - quand le journaliste Gnielka vient faire scandale au parquet de Francfort. Par la suite, alors que Johann réagit de façon très émotionnelle, commettant d'ailleurs certaines maladresses, il réagit plutôt comme un «fonctionnaire» même s'il travaille consciencieusement et poursuit obstinément son instruction (alors que Johann est à un moment découragé et prêt à renoncer).

Même s'il paraît un peu plus âgé que Johann, il appartient à la même génération que lui et n'a que peu connu la période nazie4: c'est un homme honnête mais sans passion apparente. De manière générale, l'on peut donc dire qu'il représente la conscience allemande d'après-guerre qui saura faire face à un passé monstrueux, mais plutôt comme un témoin non impliqué.

Simon Kirsch

Déporté, survivant ayant assisté à l'assassinat de toute sa famille, Simon Kirsch est incontestablement une victime. Deux traits remarquables le caractérisent.

Il refuse de témoigner même s'il dénonce l'ancien gardien d'Auschwitz devenu professeur après la guerre. Et de manière générale, il semble relativement indifférent à l'instruction en cours. Aucun désir de vengeance ne semble réellement l'animer. Une scène dramatique éclairera alors son attitude: lors de son arrivée à Auschwitz, au moment de la sélection, il a «confié» ses deux filles à un médecin présent, vêtu d'une blouse blanche, qui se révélera être le docteur Mengele, responsable d'expérimentations cruelles notamment sur les jumeaux. Bien qu'il soit objectivement une victime du nazisme, Simon Kirsch ressent donc une grande culpabilité alors que sa famille a été décimée et ses enfants martyrisés.

Son attitude, qui peut être difficile à comprendre pour des personnes qui n'ont pas enduré des épreuves aussi terribles, est néanmoins représentative de la réaction de nombreux survivants des camps dont les sentiments étaient extrêmement mêlés à leur libération: beaucoup d'entre eux ressentaient en effet une forme d'humiliation extrême à cause des conditions dégradantes qui leur avaient été imposées (ils avaient été «ravalés au rang de bêtes» selon une expression souvent employée); en outre, les déportés raciaux pouvaient se sentir confusément coupables de «s'être laissés mener à l'abattoir comme des moutons»5 et surtout d'avoir survécu alors que tous leurs proches avaient été assassinés ou étaient morts après des épreuves effroyables. Enfin, ils se sont souvent heurtés à des réaction d'incompréhension sinon d'indifférence dans la plupart des nations européennes (et c'était évidemment encore plus exacerbé en Allemagne).

Un deuxième trait caractérise l'attitude de Simon Kirsch, à savoir sa volonté de continuer à vivre en Allemagne. Ce choix peut sembler paradoxal étant donné ce qu'il a souffert à cause des «Allemands», mais, là aussi, il explique de façon émouvante combien il se sent, par son histoire personnelle, lié à ce pays puisque c'est là qu'il a vécu les moments les plus heureux de son existence. De façon plus large, son attitude permet de relever la complexité de la notion d'identité: le racisme nazi a en effet voulu définir les Juifs comme une race inférieure mais également comme étant uniquement juifs6, alors que ceux-ci pouvaient sans doute se sentir juifs mais également intellectuels, ouvriers, hommes, femmes, tailleurs ou avocats, de gauche ou de droite... et allemands! Simon est à la fois juif et allemand, même s'il ne définit évidemment pas l'Allemagne par une quelconque «race» mais comme un pays, des paysages, une histoire personnelle et sociale, une culture, une langue auxquelles il ne veut pas renoncer.

Walter Friedberg

[...]

L'officier américain

[...]

Hermann Langbein

[...]

Couverture livre Tal Bruttmann


 

Avertissement

L'évocation de la destruction des Juifs d'Europe par les nazis est aujourd'hui devenue problématique, notamment en milieu scolaire, à cause de deux phénomènes importants, à savoir les enjeux mémoriels suscités par la « concurrence des victimes » - certains se demandent pourquoi l'on parle toujours des Juifs et pas d'autres crimes contre l'humanité comme la traite négrière - et l'apparition de « négationnistes » de la shoah qui prétendent en particulier que les chambres à gaz à Auschwitz et ailleurs ne seraient qu'un mythe.

Dans ce contexte de suspicion et souvent de haine, il faut conseiller aux enseignants et aux animateurs de disposer de connaissances historiques aussi solides que possible afin de pouvoir répondre à des questionnements qui, dans certains cas, sont légitimes. On trouvera notammment dans le dossier pédagogique consacré au Labyrinthe du silence une synthèse générale sur la shoah.

On rappellera à ce propos que, si les Juifs furent les victimes d'un génocide, d'autres personnes (notamment les résistants dans les pays occupés), d'autres groupes (notamment les élites polonaises), d'autres populations (notamment les populations civiles d'Union Soviétique), d'autres groupes ethniques (les Tziganes) furent l'objet de violences extrêmes, que ce soit dans le système concentrationnaire proprement dit ou ailleurs (par exemple les villages de Biélorussie détruits avec tous leurs habitants), même si ces crimes ne sont pas pour l'instant objet de contestation mais tendent néanmoins à être oubliés ou minimisés.

En outre, l'on trouvera dans le même dossier quelques suggestions de réponse aux objections politiques, morales ou mémorielles qui peuvent être faites par certains à l'évocation de la shoah (même s'il n'est évidemment pas possible d'anticiper la totalité de ces objections).

Enfin, l'on trouvera ci-dessous un argumentaire visant à montrer ce qui distingue le travail des historiens des pseudo-arguments du négationnisme.

Pourquoi les « négationnistes » ne sont pas des historiens...

Ces réflexions s'adressent notamment aux enseignants et aux animateurs qui souhaitent aborder l'histoire du génocide des Juifs avec un public d'adolescents et d'adultes non-spécialistes. Elles devraient leur permettre de répondre - au moins en partie - à ceux ou à celles qui pourraient être sensibles aux pseudo-arguments des négationnistes de la shoah. L'ensemble de ce texte est également disponible au format PDF facilement imprimable.

Les « négationnistes » qui se sont manifestés à partir des années 1970 ont focalisé toute leur attention sur un seul point : l'existence des chambres à gaz dans les différents camps nazis et en particulier à Auschwitz. Leur argumentation - mais il s'agit plutôt d'une pseudo-argumentation - reprend toujours les mêmes thèses essentielles à savoir : il ne serait « scientifiquement » pas possible de gazer des personnes avec du Zyklon B, il n'y aurait pas de « preuves » de l'existence des chambres à gaz (qui ont été détruites ou modifiées peu après la Libération), et tous les témoignages à ce propos seraient contradictoires et sujets à caution, c'est-à-dire mensongers, soit parce qu'ils auraient été obtenus sous la torture (dans le cas des responsables nazis), soit parce qu'ils seraient intéressés (dans le cas des victimes survivantes).

Il ne sert pas à grand-chose de démonter ces pseudo-arguments - même si nous le ferons en résumé à la fin de ce texte - car les négationnistes s'attaquent après toute réfutation à d'autres détails dont ils s'acharnent à montrer l'inconsistance ou les incohérences. Il est en revanche important de montrer qu'ils ne font pas un travail d'historiens et que leurs discours n'ont pas de valeur historique. Mais, pour cela, il faut comprendre ce qu'est le travail historique.

Les historiens ne se contentent pas d'établir, sur base de documents ou de témoignages, des faits ou des dates de manière isolée - par exemple, « Christophe Colomb a découvert l'Amérique en 1492 », comme on l'enseigne à l'école -, et ils inscrivent chaque événement dans un contexte historique dont la cohérence générale permet de valider les différents éléments : l'expédition de Christophe Colomb prend place dans l'histoire des « grandes découvertes » antérieures (de Henri le navigateur à Vasco de Gama), et a été rendue possible par l'accumulation de connaissances maritimes (la construction de caravelles capables d'affronter la haute mer) et scientifiques (qui ont permis à Colomb de savoir que la terre était « ronde »)... L'existence d'un fait isolé - événement, personnage... - peut toujours être contestée ou simplement interprétée de manière contradictoire, mais l'ensemble des événements permet non seulement d'attester de la vraisemblance de faits précis mais surtout de les expliquer : Colomb disposait ainsi d'instruments de navigation - la boussole, le quadrant, le sablier - qui lui ont permis de s'orienter sur l'océan et de mesurer (de façon approximative) la distance parcourue, puis de refaire le même chemin par la suite.

C'est ce travail historique que ne font pas les négationnistes lorsqu'ils considèrent les chambres à gaz de manière isolée sans analyser l'ensemble de la politique nazie. Or, il faut, pour comprendre l'existence des chambres à gaz, prendre en considération au moins trois séries d'événements à la fois bien attestés et d'une grande cohérence, à savoir :

C'est le croisement de ces différentes séries d'événements qui permet de comprendre l'utilisation, dans des centres d'extermination spécialement construits à cet usage, de chambres à gaz pour exterminer les populations juives d'Europe mais également d'autres déportés (comme les Tziganes ou les prisonniers épuisés et devenus incapables de travailler, surnommés les « Musulmans »). Ce sont ces trois « logiques » qu'on va à présent décrire rapidement.

La politique antisémite nazie

On ne retracera pas ici l'ensemble des mesures politiques prises à l'égard des Juifs par les nazis, et l'on insistera sur leur caractère de plus en plus radical, violent et finalement meurtrier, qui s'explique notamment par l'entrée en guerre de l'Allemagne (sur laquelle on reviendra).

Entre 1933 et 1939, alors que la guerre n'est pas encore déclenchée, les nazis essaieront d'isoler les Juifs allemands (puis autrichiens) du reste de la population, de les priver de leurs droits, de les dépouiller de leurs biens et de les expulser. Ces expulsions se heurteront cependant à de nombreuses difficultés, en particulier au fait que les autres pays sont réticents à accueillir une grande masse de réfugiés.

Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939, de nouvelles communautés juives - dont celle très importante de Pologne comptant plus de 3 millions de personnes - passent sous la domination des autorités nazies. Celles-ci commenceront par appliquer le même type de mesures qu'en Allemagne mais en prendront de nouvelles beaucoup plus brutales, à savoir regrouper les Juifs en Pologne dans des ghettos fermés, surpeuplés, où les conditions de vie vont très rapidement se dégrader : disette puis famine, maladies vont conduire à la mort des milliers de personnes (10 % de la population du ghetto de Varsovie meurt au cours de l'année 1941).

Ces faits sont largement attestés non seulement par des témoins directs mais également par de multiples documents (notamment photographiques) établis par les autorités allemandes elles-mêmes. Ce sont elles par exemple qui décident qu'un Allemand doit disposer de 2600 calories par jour, un Polonais 700 seulement, et un Juif 184... Les comptes rendus des responsables nazis en Pologne sont encore plus clairs : c'est ainsi que Höppner, un dirigeant SS des territoires incorporés, écrira en juillet 41 que « Cet hiver, nous risquons de ne plus pouvoir nourrir tous les Juifs [des ghettos]. On doit donc peser consciencieusement le pour et le contre et se demander si la solution la plus humaine ne serait pas d'en finir avec ceux des Juifs qui ne peuvent être employés, au moyen d'un système rapide. De toute façon, ce serait plus agréable que de les laisser mourir de faim ». La situation dans les ghettos polonais révélait ainsi la radicalisation de la politique nazie à l'égard des Juifs, dont la mort par la faim, la maladie et les mauvais traitements était considérée comme inévitable.

Plus tard, en juin 41, l'Allemagne nazie envahit l'URSS, et des unités spéciales de la SS et de la police, les Einsatzgruppen, déclenchent à l'arrière du front (dans les territoires récemment conquis) des opérations de tueries mobiles visant en principe les « judéo-bolcheviques ». Au début, ces groupes massacrent avec des armes à feu dans des fossés rapidement creusés aux abords des localités les hommes juifs ainsi que les responsables communistes (en plus petit nombre). Mais rapidement, c'est l'ensemble des populations juives avec femmes et enfants qui seront visées par ces groupes qui passent de localité en localité. Ici aussi, les témoignages sont accablants, qu'il s'agisse des tueurs eux-mêmes (qui se prennent souvent en photos), d'autres soldats allemands venus en simples « spectateurs », de villageois (même s'ils sont tenus à l'écart) ou de quelques rares rescapés. Les responsables de ces groupes de tuerie rédigent en outre des rapports administratifs, transmis à leurs chefs, où ils font le bilan détaillé de leur action. C'est sur base de ces rapports notamment[1] qu'il est possible d'estimer le nombre de victimes (essentiellement juives) à 1 300 000 personnes (Raul Hilberg). À ce moment, la politique nazie était devenue non seulement meurtrière mais clairement génocidaire, visant des populations entières.

L'action des Einsatzgruppen posait cependant de nouveaux problèmes aux responsables nazis à cause du nombre de témoins mais surtout du comportement des exécuteurs eux-mêmes qui témoignaient de multiples manières (notamment l'alcoolisme) de la difficulté de leur « tâche ». La situation dans les ghettos polonais était également catastrophique avec des risques d'épidémie (qui aurait pu toucher les Allemands eux-mêmes). C'est dans ce contexte que les responsables nazis font procéder à des expérimentations de gazage notamment à Auschwitz (dans la morgue du crématoire[2]) sur des prisonniers soviétiques. Il s'agissait à présent d'exterminer toute la population juive de Pologne. Trois camps d'extermination furent construits à cette fin à Belzec, Sobibor et Treblinka où l'on utilisa du monoxyde de carbone dégagé par des moteurs stationnaires. La population des ghettos fut transférée en train, par vagues successives à partir de mars 42 jusqu'en octobre 43, jusque dans ces centres (d'assez petites dimensions) où ils étaient rapidement assassinés puis enterrés.

Ici aussi, c'est un vaste ensemble de documents administratifs, de témoignages de l'époque ou d'après-guerre, de responsables nazis, de soldats allemands ou de quelques rares rescapés[3], qui permettent de reconstituer l'ensemble de « l'Action Reinhard » qui visait donc à assassiner toute la communauté juive de Pologne, même si les centres d'extermination ont été détruits par les nazis avant la fin de la guerre et les corps déterrés et brûlés pour en faire disparaître les traces. Les noms des responsables de ces camps mais également des gardiens sont connus, le nombre de victimes a pu être évalué sur base notamment des transports ferroviaires, les techniques utilisées ont été largement décrites, les témoins sont multiples et confirment l'ensemble du processus, tel que l'ont à présent établi les historiens.

Et ce que ceux-ci décrivent, c'est donc une radicalisation progressive de la politique nazie à l'égard des Juifs, passant de l'exclusion à la spoliation, à l'enfermement et enfin à l'extermination. C'est précisément l'ensemble de cette politique que les négationnistes refusent d'envisager en se focalisant sur la seule « question » des chambres à gaz, refusant de considérer toutes les étapes de plus en plus meurtrières (notamment avec l'intervention des Einsatzgruppen) d'un processus conduisant à l'assassinat « industriel » dans les centres d'extermination munis de chambres à gaz. Ils sont bien entendu incapables d'expliquer ce que sont devenus les trois millions de Juifs polonais, d'abord enfermés dans des ghettos surpeuplés, puis massivement déportés en 1942 vers les camps de Belzec, Sobibor et Treblinka où l'on perdrait de manière inexplicable leur trace...

Enfin, ce processus meurtrier débouche en janvier 1942 sur la décision (communiquée à la conférence de Wannsee) par les dirigeants nazis de déporter tous les Juifs d'Allemagne et des différents pays occupés, France, Belgique, Pays-Bas, Grèce, Tchéquie... vers les camps d'extermination en Pologne (et pour la plupart vers Auschwitz). Ce sont notamment plus de 70 convois comprenant chacun un millier de personnes environ qui partiront de France, 26 convois qui emporteront plus de 25 000 Juifs de Belgique, plus de 90 convois qui partiront des Pays-Bas avec plus de 100 000 personnes. Parmi ces déportés raciaux, on compte des femmes, des enfants, des vieillards, à qui l'on fait croire à une mise au travail à l'Est... Mais seule une très petite minorité de ces personnes (3 % des déportés de France, moins de 5 % des déportés de Belgique) survivront à la fin de la guerre. Le sort de tous ces déportés, comme celui des Juifs des autres pays européens comme l'Italie ou la Hongrie (dont la plus grande part de la population juive est déportée et assassinée en 56 jours à Auschwitz entre mars et mai 1944), est bien documenté - les historiens ont établi le nombre de convois, reconstitué pour des pays comme la Belgique ou la France les listes nominatives des victimes -, et il ne fait notamment aucun doute pour les historiens que les déportés, qui n'ont pas été immatriculés à Auschwitz (c'est-à-dire qui n'ont pas été sélectionnés pour le camp de travail), ont été directement conduits vers les chambres à gaz. L'histoire complexe de ces chambres à gaz - elles ont d'abord été aménagées dans des maisons isolées transformées en « bunkers » hermétiques, avant qu'une firme spécialisée construise quatre grands « crématoriums » divisés en salles de déshabillage, chambres à gaz et crématoires pouvant brûler des milliers de cadavres par jour[4] - a pu être reconstituée grâce à de multiples témoignages des responsables du camp comme de rares survivants témoins directs des massacres, et surtout à travers une masse de documents administratifs, qu'il s'agisse de la firme Topf und Sohne qui a construit les grands crématoriums ou des entreprises qui ont fourni le Zyklon B, ou de l'administration SS elle-même qui enregistrait soigneusement le nom des déportés admis dans le camp ainsi que les décès.

Nier l'existence des chambres à gaz, c'est non seulement prétendre que des centaines de témoignages sont faux ou mensongers, c'est rejeter des milliers de documents qui démontrent le caractère meurtrier de l'antisémitisme nazi ainsi que l'ampleur de cette politique, et dont certains sont totalement explicites quant à l'extermination elle-même[5], c'est supposer que cette politique génocidaire commencée par les Einsatzgruppen s'est soudainement arrêtée sans raison, c'est surtout rendre incompréhensible la déportation des Juifs - hommes, femmes, enfants, vieillards... - de toute l'Europe vers Auschwitz et les autres centres d'extermination ainsi que la poursuite obstinée de cette traque aux Juifs jusqu'aux derniers jours de l'occupation et de la guerre, c'est enfin nier le sort tragique de millions de Juifs de Pologne et d'ailleurs, enfermés dans les ghettos, brutalisés, affamés et bientôt disparus sans laisser pratiquement de traces... Seule une histoire qui prend en compte l'ensemble des événements bien attestés peut expliquer le rôle déterminant des camps d'extermination et des chambres à gaz dans le destin des populations juives sous la domination nazie : ces camps furent la dernière étape d'un processus de plus en plus violent d'exclusion, de concentration, puis de déportation, et enfin de mise à mort, d'abord par la famine et l'exploitation et ensuite de façon « industrielle » dans le chambres à gaz de l'ensemble des Juifs d'Europe.

Les races inférieures et les autres « ennemis » du Reich...

Les négationnistes, même s'ils prétendent le contraire, sont le plus souvent mus par un antisémitisme plus ou moins affirmé : nier l'existence des chambres à gaz revient en fait à nier le génocide juif... C'est oublier cependant que le racisme nazi a visé bien d'autres groupes jugés inférieurs ou « hostiles », même si les Juifs furent les principales victimes de ce racisme d'État, et que le sort de ces groupes fut également terrible.

On en évoquera trois différents (même si l'histoire d'autres groupes persécutés mériterait également d'être retracée).

Il s'agit d'abord des Polonais dont le pays est envahi en septembre 1939[6], et qui seront soumis à une occupation particulièrement violente puisqu'on estime qu'environ 3 millions de civils polonais non-juifs ont été tués par les Allemands. On signalera en particulier que les Einsatzgruppen, déjà cités, ont d'abord été déployés en Pologne au moment de l'invasion : disposant d'une liste préparée avant le début des hostilités (das Sonderfahndungsbuch Polen, ou « livre d'accusation spéciale en Pologne »), ils sont chargés d'éliminer toute une série de personnes jugées « hostiles » c'est-à-dire essentiellement des membres des élites sociales, politiques, intellectuelles et religieuses susceptibles de constituer des mouvements de résistance. On estime qu'en six mois ces groupes font au moins 60 000 victimes. La brutalité des exécutions suscite d'ailleurs la colère et le dégoût de beaucoup de soldats et d'officiers de la Wehrmacht qui souhaite « garder les mains propres » en Pologne. Ces crimes, qui sont largement documentés et non contestés, ont donc été décidés par les responsables nazis, avant même le début de la guerre[7], et sont révélateurs du racisme meurtrier qui les animait. L'assassinat de sang-froid de populations entières était donc envisagé dès 1939 et a commencé à être mis en œuvre très tôt (en septembre de cette année) par les nazis.

Un autre groupe de personnes, cette fois de nationalité allemande, doit également retenir l'attention : il s'agit des handicapés physiques ou mentaux. Ces personnes qui résidaient dans des institutions hospitalières étaient considérées par les nazis comme une charge inutile, et Hitler signa en octobre 1939 l'autorisation d'un programme d'assassinat (camouflé sous le terme d'euthanasie) de ces malades jugés superflus. À l'insu des familles, des médecins couverts par l'autorisation de Hitler opèrent alors des sélections dans les hôpitaux et exécutent les malades jugés incurables, inaptes au travail et improductifs. Plus de 70 000 personnes seront ainsi exécutées entre 1939 et 1941, la majorité des victimes étant assassinées dans six chambres à gaz de petites dimensions avec du monoxyde de carbone. Cette opération (surnommée T4 après la guerre) était secrète, mais de nombreuses familles ont émis des soupçons à l'annonce de la mort « naturelle » de leurs proches, et l'évêque de Münster, Clemens August von Galen, protestera publiquement contre l'assassinat de ces personnes innocentes, dans un sermon prononcé en août 41 dont le retentissement sera important aussi bien en Allemagne qu'à l'étranger. L'arrêt du programme sera officiellement ordonné le 24 août par Hitler mais se poursuivra à moindre échelle jusqu'à la fin de la guerre.

Ces crimes sont également bien documentés et témoignent du caractère meurtrier du nazisme 8. Ils doivent également être évoqués parce que plusieurs membres du personnel de l'opération T4 d'assassinat des handicapés ont ensuite été employés dans l'opération Reinhard, c'est-à-dire la mise à mort des Juifs des ghettos polonais dans des centres d'extermination dotés de chambres à gaz[9]. Ces transferts sont révélateurs de la cohérence de la politique d'élimination de toutes les personnes jugées inférieures, inutiles ou nuisibles par les dirigeants nazis, et surtout de la radicalisation de cette politique avec le déclenchement puis la prolongation de la guerre. On voit aussi comment des instruments ou des techniques comme les chambres à gaz ont pu d'abord être expérimentés de façon relativement limitée (pour l'assassinat des handicapés) avant d'être réutilisés à une plus grande échelle dans les camps d'extermination en Pologne.

Le troisième groupe dont on évoquera brièvement le sort est celui des « inaptes » dans le camp de concentration d'Auschwitz (mais également dans d'autres camps). Pour rappel, Auschwitz était composé d'un centre d'extermination (avec des chambres à gaz) et d'un énorme camp de concentration : dans celui-ci, les détenus - juifs mais aussi politiques, « asociaux », homosexuels, droits communs... - étaient pour la plupart contraints à un travail épuisant dans des conditions souvent terribles. Beaucoup s'affaiblissaient rapidement, perdant toute leur masse musculaire et bientôt réduits à l'état de squelettes (surnommés les « musulmans »)[10]. Chaque matin, on relève dans les baraquements un certain nombre de morts qui sont emmenés aux crématoires par d'autres détenus, mais les responsables du camp font également procéder régulièrement à des « sélections » (notamment à l'hôpital, le Revier) des « inaptes », en particulier lorsque de nouveaux convois sont annoncés et qu'il faut faire de la place dans le camp. Les détenus ainsi sélectionnés sont, selon les témoignages, soit exécutés par une injection de phénol dans le cœur, soit emmenés dans les chambres à gaz : dans son journal intime, le médecin allemand Johann Paul Kremer exprime notamment l'horreur qu'il ressent la première fois qu'il assiste au gazage (qu'il nomme « action spéciale ») d'un groupe de femmes, des « musulmanes », réduites à l'état de squelettes (alors qu'il a déjà assisté au gazage de deux convois de déportés directement débarqués des wagons mais qui n'étaient pas fortement amaigris)[11]. Ces détenus gazés parce que « inaptes » au travail n'étaient pas nécessairement juifs (même s'il y avait sans doute des Juifs parmi eux). Dans ce cas aussi, les négationnistes se contentent d'affirmer que ces détenus sont sans doute morts de maladie (à cause du typhus constamment invoqué), mais les nombreux témoignages des codétenus, des membres des Sonderkommandos comme de plusieurs responsables du camp prouvent à suffisance que ces personnes ont été emmenées non pas vers une « destination inconnue » pour y être soignées... mais vers les chambres à gaz. Il est clair en effet que, pour les nazis, la vie de ces « inaptes » n'avait pas plus de valeur que celle des Juifs assassinés dès leur arrivée ou des handicapés exécutés sur l'ordre de Hitler ou encore des Tziganes également assassinés en grand nombre[12] à Auschwitz.

Le travail des véritables historiens ne consiste pas à « prouver » l'existence des chambres à gaz - il y a suffisamment de traces, de témoignages et de documents qui en attestent - mais à inscrire ce phénomène, aussi monstrueux soit-il, dans son contexte général pour comprendre notamment quelles en furent les catégories de victimes, pourquoi le sort des uns et des autres fut relativement différent, quelle fut l'attitude des bourreaux et comment cette attitude a pu évoluer au cours du temps et en fonction des réactions des uns et des autres (par exemple avec l'arrêt partiel de l'assassinat des handicapés à cause des protestations en Allemagne même)... C'est bien ce travail historique d'ensemble (même si chaque historien étudie un aspect relativement circonscrit de cet ensemble) qui permet d'expliquer ce que sont devenues les personnes déportées (juives ou non-juives), comment les ghettos de Pologne ont été vidés en quelques mois à l'été 42 de la plus grande partie de leurs habitants, comment aussi la politique nazie a traité l'ensemble des « races » et groupes sociaux jugés inférieurs, nuisibles ou hostiles, d'une façon de plus en plus brutale et meurtrière, comment enfin des milliers d'Allemands ont participé directement ou indirectement à cette politique criminelle ou y ont assisté sans protester ni réagir.

Il convient d'ailleurs de revenir brièvement sur ce dernier point en prenant en considération une troisième « série » historique, à savoir l'entrée en guerre de l'Allemagne.

Page de dessins extraite du Carnet de croquis d'Auschwitz

Ce carnet fut probablement réalisé en 1943 par un détenu qui a voulu témoigner, au péril de sa vie, des différents aspects du camp d'Auschwitz. Il a été enterré dans les fondations d'un baraquement de Birkenau où il a été retrouvé en 1947. Il est aujourd'hui conservé au Mémorial d'Auschwitz. L'auteur resté inconnu est vraisemblablement mort.
La page reproduite ici est particulièrement significative car elle montre deux types de détenus emmenés vers un crématorium visible en haut, dans le dessin de droite (d'après la forme il s'agit du crématorium IV ou V, la chambre à gaz étant le bâtiment moins élevé devant les crématoires proprement dits dont on voit clairement les deux grandes cheminées).
Sur le dessin de gauche, on reconnaît des détenus squelettiques, des « musulmans » affaiblis qui sont emmenés en camion. Le fait que ce dessin ait été fait sur la même page à côté d'un autre où l'on voit des déportés en bonne forme et en habits civils marqués à l'épaule de l'étoile juive - ils viennent sans aucun doute de débarquer des wagons d'un train - signale clairement que la destination des uns et des autres est la même, la chambre à gaz, même si leur apparence, leurs vêtements et leur forme physique sont très différents.

Une guerre « totale »[13]

L'entrée en guerre de l'Allemagne, décidée par Hitler et approuvée par les hauts dirigeants du Reich, a certainement accentué certains traits de la politique nazie : les premières victoires importantes - contre la Pologne puis contre la France même si la Grande-Bretagne continue seule le combat jusqu'en juin 41 - ont certainement fortifié la confiance générale dans le Führer et la croyance en son génie militaire et politique. En outre, en décidant de l'entrée en guerre, Hitler a certainement pensé que l'époque des compromis et des mesures partielles était révolue : dès octobre 1939, il signe, on l'a vu, l'autorisation de procéder à la mise à mort des handicapés. Une telle mesure risquait de heurter une grande partie de l'opinion publique allemande (et c'est pour cela qu'elle est restée secrète), mais l'entrée en guerre justifiait sans doute aux yeux du Führer une décision aussi radicale.

La violence - à savoir l'élimination des ennemis réels ou supposés du IIIe Reich - était inscrite très tôt dans le projet politique du nazisme (et en particulier dans Mein Kampf, le célèbre ouvrage de Hitler publié en 1925), mais le passage des mots aux actes a été progressif, la guerre permettant de franchir une étape décisive en ce domaine : si la « survie » de l'Allemagne était en jeu, comment se préoccuper de l'existence d'individus jugés inférieurs, hostiles ou nuisibles ?

Pourtant, si l'invasion de la Pologne fut très brutale (avec notamment le massacre des élites polonaises par les Einsatzgruppen), l'occupation de l'Europe occidentale (Pays-Bas, Belgique, France...) en 1940 fut d'abord menée dans le respect général des lois de la guerre[14]. En revanche, le déclenchement de l'opération Barbarossa le 22 juin 1941, à savoir l'invasion de l'URSS, allait entraîner un déclenchement de violence inédit.

On a déjà signalé le rôle des Einsatzgruppen qui, à l'arrière du front, massacrent par fusillade les responsables communistes capturés et surtout les populations juives des différentes localités occupées, visant d'abord les hommes adultes puis également les femmes, enfants et vieillards.

Mais cette violence est aussi celle de l'armée, la Wehrmacht qui progresse très rapidement en territoire soviétique et capture des centaines de milliers et bientôt des millions de prisonniers. Beaucoup sont exécutés sommairement au moment de leur capture ou peu de temps après. Les autres sont enfermés dans des camps de fortune, souvent de simples enclos entourés de barbelés sans aucun baraquement, où rien n'est prévu pour leur subsistance. C'est une véritable famine qui règne bientôt dans ces camps, et le froid qui s'installe à partir de l'automne ne fait qu'empirer les choses. En outre, des sélections sont opérées parmi ces prisonniers à la recherche des individus « politiquement suspects » qui sont alors transférés dans des camps de concentration (comme Auschwitz). Deux millions de prisonniers soviétiques meurent ou sont assassinés pendant les six premiers mois de la guerre sur un total de 3,3 millions 15. Et, à la fin du conflit, on estime que c'est 3,6 millions de soldats et d'officiers prisonniers qui seront morts sur un total de 5,4 millions[16].

À cela, il faut encore ajouter la violence exercée contre les civils d'Union Soviétique. Décidés à piller l'ensemble du territoire soviétique occupé, les dirigeants nazis envisageaient froidement dès 1941 d'y organiser une famine générale, ce qui se produisit effectivement, notamment dans les grandes villes[17]. La guerre contre les partisans allait par ailleurs conduire à la destruction de milliers de villages en Biélorussie, à l'assassinat de leurs habitants, à la déportation de milliers de personnes et à la transformation de régions entières en désert. En Biélorussie, plus de 5 000 localités furent ainsi rasées, et, dans plus de six cent de ces villages, la population fut en outre massacrée. On estime que, dans les différentes régions d'URSS, cette « guerre contre les partisans » a fait plus d'un million de victimes civiles (non-juives) assassinées notamment par la Werhmacht pendant les trois années de l'occupation allemande[18]. Enfin, un grand nombre de civils fut également déporté en Allemagne pour servir de main-d'œuvre dans les pires conditions qui soient.

Ces crimes (dont on trouve l'équivalent en France, mais à beaucoup plus petite échelle comme le massacre d'Oradour-sur-Glane) n'ont évidemment pas de rapport direct avec l'existence des chambres à gaz dans les camps d'extermination. Mais ils traduisent la violence de la politique nazie, la brutalité extrême qui s'accélère rapidement (ce que certains historiens appellent la « brutalisation ») dans la conduite de la guerre en particulier à l'Est contre les peuples « slaves » réputés inférieurs, et l'implication des membres de la SS ou de la Gestapo mais aussi de nombreux militaires de la Wehrmacht souvent de haut rang dans cette politique mise en application sur le terrain de façon terriblement meurtrière et sans véritables hésitations.

Le contexte général de la guerre à l'Est, les meurtres de masse qui accompagnent dès le début l'opération Barbarossa, le dédain général pour la vie des peuples « inférieurs » (comme les prisonniers de guerre soviétiques ou les civils slaves), la haine que les nazis expriment contre ce qu'ils appellent de manière confuse l'ennemi « judéo-bolchevique » sont autant d'éléments qui rendent possible une décision comme la déportation de tous les Juifs d'Europe vers des centres de mise à mort équipés de chambres à gaz. Ils expliquent également que ces déportations et ces assassinats de masse aient été accomplis souvent avec zèle par les multiples exécutants impliqués dans ce processus et même qu'ils aient été poursuivis avec obstination jusqu'aux derniers mois de la guerre[19]. C'est tout ce contexte que les négationnistes passent sous silence précisément pour rendre « invraisemblable » le recours à des chambres à gaz pour le meurtre de masse. Si ces chambres à gaz furent effectivement des instruments de mort exceptionnels, si le génocide juif lui-même fut un phénomène unique dans la politique nazie, on voit aussi comment tout un contexte (trop brièvement résumé ici) de violence et de racisme extrêmes a progressivement rendu possibles la décision et la mise en œuvre d'une telle politique génocidaire.

Trois pseudo-arguments

Pour terminer, on démontera ici trois pseudo-arguments fréquemment utilisés sur le sites négationnistes.

« Ce n'est scientifiquement pas possible »

Les négationnistes évoquent fréquemment l'impossibilité d'utiliser du Zyklon B dans les chambres à gaz d'Auschwitz, car les restes de ce gaz très toxique auraient été dangereux pour les gardiens et les membres des Sonderkommandos après l'ouverture des portes, seulement une vingtaine ou une trentaine de minutes après le début du gazage (comme l'indiquent la plupart des témoignages).

On ne répétera pas les arguments développés ailleurs concernant la ventilation, l'utilisation de masques à gaz et d'autres détails scientifiques concernant l'absorption par le corps des victimes de l'acide cyanhydrique[20], et l'on rappellera deux choses essentielles.

La première est que le Zyklon B fut essentiellement utilisé à Auschwitz et que, dans les autres centres d'extermination, Treblinka, Belzec, Sobibor, Chelmno[21], les chambres à gaz fonctionnaient avec du monoxyde de carbone (fourni par des moteurs). Ce fut également le gaz utilisé lors de l'opération d'assassinat des handicapés en Allemagne. Ici aussi, les négationnistes isolent un élément sans prendre en considération l'ensemble du processus génocidaire.

La seconde est que des dizaines de témoignages, ceux des rescapés des Sonderkommandos, ceux des gardiens et des responsables du camp d'Auschwitz, des témoignages d'après-guerre mais également témoignages de l'époque, confirment le même mode opératoire. Quelqu'un peut affirmer qu'une bombe atomique est scientifiquement impossible à réaliser, mais l'abondance des témoignages de personnes qui n'étaient ni physiciens ni ingénieurs - on pense notamment aux survivants des explosions - suffit à nous convaincre qu'une telle bombe a bien détruit Hiroshima et Nagasaki, et aucun argument « scientifique » ne parviendra à contrer cette évidence. Les témoignages sont suffisamment nombreux et concordants (sans même tenir compte de la masse des autres documents) pour prouver à toute personne raisonnable et de bonne foi que les nazis ont bien utilisé du Zyklon B à Auschwitz dans les chambres à gaz.

La fiabilité des témoignages

Les négationnistes doivent alors s'en prendre aux témoignages dans lesquels ils repèrent des imprécisions, des contradictions et parfois des erreurs. Il suffit en effet de recueillir les dépositions des témoins d'un même accident de la route pour constater des divergences sur des faits objectifs comme la couleur des véhicules, leur position, les réactions des personnes impliquées. Parfois, certaines personnes sont même convaincues d'avoir vu des choses qui sont manifestement fausses. Cela n'invalide cependant pas totalement les témoignages, et, dans le cas d'un accident, ceux-ci s'accorderont vraisemblablement sur l'essentiel, à savoir qu'il a bien eu lieu, et comment il s'est déroulé.

Il faut rappeler à ce propos que les historiens ne considèrent jamais un témoignage seul et qu'ils recueillent un maximum de témoignages mais également de documents de toutes sortes et qu'ils soumettent l'ensemble à une critique sérieuse : c'est bien l'ensemble des éléments ainsi recueillis et analysés, c'est leur cohérence générale qui ont alors valeur de preuve.

Les négationnistes ne procèdent pas ainsi: ils isolent un témoignage ou un document, ils y repèrent l'une ou l'autre imprécision, l'une ou l'autre erreur ou contradiction, mais, plutôt que de chercher à l'expliquer contextuellement[22], ils en concluent que tout est faux et qu'il n'a aucune valeur probante... Or aucun document, aucun témoignage, aussi spectaculaire soit-il (par exemple, une photo qui peut effectivement avoir été falsifiée), ne peut prouver l'existence d'un événement passé et donc nécessairement disparu : c'est la concordance d'un ensemble d'éléments aussi nombreux que possible qui permet aux historiens d'affirmer l'existence d'une réalité comme les chambres à gaz. Les négationnistes « saucissonnent » les faits sans prendre en considération l'ensemble de la politique antisémite nazie, ni les multiples crimes commis à l'encontre des Juifs mais également d'autres populations, ni la mise en œuvre de déportations de millions de Juifs à partir des différents pays européens et leur « disparition » - en réalité leur assassinat - dans des camps pourtant bien répertoriés...

Une illusion collective ?

Les négationnistes se heurtent enfin au fait que l'existence des chambres à gaz est non seulement attestée par un ensemble de témoignages et de documents d'époque, mais a été reconnue par de multiples juridictions, internationales comme le tribunal de Nuremberg institué par les Alliés, mais également allemandes comme les procès instruits dans ce pays à partir de la fin des années 1950 (procès d'Auschwitz à Francfort en 1963, procès de Treblinka à Düsseldorf en 1964 et en 1970 entre autres). En outre, de nombreux historiens de toutes nationalités (allemande, française, israélienne, belge, américaine, britannique...) et de générations différentes ont largement documenté, analysé et étudié les différents aspects de la politique nazie et n'ont jamais remis en cause l'existence des chambres à gaz.

Devant cet accord général, les négationnistes avancent en général deux arguments. Selon le premier, la Justice rendue à Nuremberg serait celle des vainqueurs décidés à faire oublier leurs propres crimes (par exemple les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki). Mais cet argument ne tient évidemment pas : ce n'est pas parce qu'une Justice est orientée (et elle l'est toujours nécessairement en fonction des opinions politiques et morales des juges) qu'elle est nécessairement fausse. Il y a eu dans l'Histoire des procès montés de toutes pièces (par exemple les procès de Moscou sous Staline), mais le procès de Nuremberg a été mené par les trois puissances alliées (qui avaient des intérêts divergents[23]) avec suffisamment d'indépendance pour établir la vérité des crimes nazis. Les principaux faits établis par ce tribunal ne seront jamais remis en cause ni par d'autres juridictions, ni ultérieurement par les historiens (contrairement notamment aux procès de Moscou dont les principaux accusés furent réhabilités lors de la déstalinisation et dont tout le monde admet aujourd'hui le caractère mensonger).

En outre, la Justice allemande poursuivra ultérieurement des criminels nazis ayant en particulier œuvré dans les centres d'extermination. Or quel « intérêt » les Allemands auraient-ils eu d'accuser certains de leurs compatriotes de crimes inexistants ? Et pourquoi des accusés qui n'ont été soumis à aucune forme de torture ni de brutalité dans ces procès menés en RFA auraient-ils admis l'existence de crimes qui n'auraient pas existé ?

Enfin, et on l'a déjà dit, les historiens des universités d'Europe et d'ailleurs, qui travaillent de manière approfondie sur cette période, n'ont jamais remis en cause l'essentiel des faits établis par le tribunal de Nuremberg et d'autres tribunaux. Les négationnistes se contentent alors de les traiter de manière péjorative d'historiens « officiels » comme si, en tant que membres d'universités très différentes les unes des autres, et dans des pays éloignés les uns des autres, ils n'avaient aucune indépendance à l'égard du pouvoir politique et d'une quelconque « vérité » d'État.

Les négationnistes parlent alors d'une illusion collective qui s'imposerait à tous (sauf à eux-mêmes) comme au XVIe siècle par exemple, quand la croyance aux sorcières était tellement forte que les tribunaux de l'Inquisition ont jugé des milliers d'entre elles et les ont condamnées au bûcher. C'est évidemment négliger totalement la différence d'époques puisqu'alors la chrétienté et ses églises (catholiques et protestantes) imposaient ses croyances et ses dogmes à l'ensemble des populations ainsi qu'aux pouvoirs politiques en place. Or, aujourd'hui, il existe une indépendance (qui n'est sans doute pas absolue) des différents pouvoirs législatif, politique et judiciaire, ce qui explique notamment que la Justice allemande ait poursuivi des criminels nazis alors qu'une majorité de l'opinion publique y était hostile. En outre, les universités et les centres historiques sont également indépendants et mènent leurs recherches selon des critères internes de scientificité (ce qu'on appelle la critique historique) de façon autonome sans interférence des autres pouvoirs. On remarquera d'ailleurs que, dans les pays occidentaux, la liberté de la recherche (mais aussi de la presse) est suffisamment grande pour remettre en cause d'éventuelles « vérités officielles » : les historiens américains ont par exemple largement décrit les crimes commis par leurs troupes pendant la Seconde Guerre mondiale, notamment dans le Pacifique à l'encontre des Japonais, sans que ces historiens ne subissent la moindre pression... [24] Il est donc absurde de penser qu'ils ne pourraient pas travailler avec la même indépendance sur le génocide juif et qu'ils devraient, sur cette question, admettre une « vérité officielle ».

*

Il faut à nouveau souligner que les négationnistes n'apportent aucune connaissance historique, ils ne recherchent aucun document inédit ni aucun témoignage original sur ce qui s'est passé à Auschwitz et ailleurs : ils se contentent d'argumenter, souvent de manière répétitive, pour « prouver » que les chambres à gaz n'auraient jamais existé... Mais ils ne nous apprennent rien ni sur la politique nazie, ni sur les crimes commis à vaste échelle dans les pays occupés (en particulier à l'Est), ni sur les déportations, ni sur le génocide, ses différentes étapes et ses différentes formes, ni sur les décisions, ni sur les exécuteurs et leurs victimes... Sur toutes ces questions, ce sont les travaux des historiens qui seuls nous permettent de savoir mais aussi de comprendre ce qui s'est passé.

Bibliographie

On n'a retenu que quelques titres en français et facilement accessibles. Les bibliographies de certains de ces ouvrages permettent d'accéder à d'autres ouvrages traitant des différents aspects de la politique criminelle du nazisme (en différents lieux et à différentes époques).


1. Un certain nombre de ces rapports sont manquants, vraisemblablement détruits pendant la guerre.

2. Ce premier crématoire servait à brûler les corps des détenus morts de faim ou d'épuisement. Ce n'est que par la suite que d'autres crématoires de beaucoup plus grande taille (nommés en allemand sous la forme abrégée de Krema) ont été construits à Auschwitz, comprenant des fours crématoires mais aussi des chambres à gaz maquillées en salles de douche (ainsi que des vestiaires de déshabillage).

3. Il s'agit notamment de quelques survivants des Sonderkommandos, ces prisonniers qui étaient retenus pour dépouiller les cadavres, pour les enfouir ou les brûler. Plusieurs d'entre eux ont notamment été interrogés par Claude Lanzmann dans son film Shoah (1985). On peut également lire les témoignages de Rudolf Vbra, Je me suis évadé d'Auschwitz, Paris, Ramsay, 2006, Filip Müller, Trois ans dans une chambre à gaz d'Auschwitz, Paris, Pygmalion, 1980 (le choix du titre français est assez maladroit et ne correspond pas au titre original de Filip Müller : Sonderbehandlung, c'est-à-dire traitement spécial), Shlomo Venezia, Sonderkommando. Dans l'enfer des chambres à gaz, Paris, Albin Michel, 2007, et Chil Rajchman, Je suis le dernier Juif. Treblinka (1942-1943), traduit du yiddish, Paris, Les Arènes, 2009.

4. Le détail du fonctionnement des crématoriums d'Auschwitz est aujourd'hui bien connu. Ainsi, l'on sait que les opérations de gazage se déroulaient rapidement (en une demi-heure à peine), mais le dépouillement des cadavres (coupe des cheveux des femmes, arrachage des dents en or, recherche de valeurs cachées dans les parties intimes) et surtout la crémation des cadavres était des opérations plus longues. Les fours en particulier ont dû être à plusieurs reprises mis à l'arrêt à cause de dysfonctionnements et de surchauffes. Cela explique aussi qu'à certains moments, les responsables aient fait procéder à des crémations à ciel ouvert dans des bûchers improvisés.

5. Les responsables nazis avaient pour consigne de ne pas utiliser dans leurs rapports des termes explicites concernant les meurtres de masse : ainsi la « solution finale de la question juive » (die Endlösung der Judenfrage) a servi à désigner, notamment lors de la conférence de Wannsee, l'extermination des populations juives. Mais, dans un certain nombre de documents, certains responsables enfreignent cette consigne et décrivent exactement de quoi il s'agit. Ainsi, dans une lettre du 29 janvier 1943, le capitaine (SS-Hauptsturmführer) Karl Bischoff écrit à son supérieur le colonel (SS-Oberführer) Hans Kammler : « À l'exception de travaux mineurs, le crématorium II a été achevé par le travail nuit et jour de toutes nos forces disponibles, malgré d'énormes difficultés et un froid intense. Les fours ont été allumés en présence de l'ingénieur en chef Prüfer de la firme Topf und Sohn d'Erfurt, et ils fonctionnent correctement. Le plafond de la morgue n'a pas pu être séché (ausgeschalt) à cause du froid. Cependant, ce n'est pas important puisque la chambre à gaz peut fonctionner correctement (Die ist jedoch unbedeutend, da der Vergasungskeller hierfür benützt werden kann) ».

6. Suite au Pacte germano-soviétique d'août 1939 et aux clauses secrètes qu'il comprenait, l'Est de la Pologne est envahi le 17 septembre par les Soviétiques qui se partagent ainsi le pays avec l'Allemagne (jusqu'en juin 41, où Hitler rompt le Pacte et envahit l'Est de la Pologne puis le territoire soviétique).

7. Dans un discours adressé aux chefs de l'armée allemande le 22 août 1939, Hitler déclare : « Tuez sans pitié ni faiblesse tous les hommes, femmes et enfants d'ascendance ou de langue polonaise. Ce n'est que de cette façon que nous obtiendrons l'espace vital (Lebensraum) dont nous avons besoin. La destruction de la Pologne est notre tâche prioritaire. Notre objectif est l'anéantissement de toutes les forces vitales. »

8. Cf. notamment Götz Aly, Les anormaux : les meurtres par euthanasie en Allemagne (1939-1945), Paris, Flammarion, 2014.

9. En particulier Christian Wirth, commandant du camp d'extermination de Belzec (puis inspecteur des camps de l'opération Reinhard), Herbert Lange, devenu responsable du camp de Chelmno, et Irmfried Eberl, commandant pendant quelque temps de Treblinka.

10. Il faut à ce propos se méfier des photos de la libération des camps prises par les Alliés en avril et mai 45, à un moment où la famine était générale dans ces camps et où une majorité de détenus étaient fortement amaigris sinon squelettiques. Antérieurement, seule une minorité (difficile à estimer) de détenus était réduit à l'état de « musulmans » : la majorité était sans aucun doute affaiblie, amaigrie, épuisée par le travail mais restait capable de travailler au moins pour un temps et ne présentait pas une telle apparence squelettique. Bien entendu, l'état de beaucoup d'entre eux se dégradait rapidement jusqu'à la mort, mais l'arrivée de nouveaux détenus en « meilleure » forme permettait leur remplacement continu. Tout ceci explique que les nazis aient pu faire à plusieurs occasions des reportages de propagande montrant des prisonniers au travail et apparemment en bonne santé : il leur suffisait évidemment de ne pas photographier ceux qui n'étaient pas (encore) complètement affamés... Pour comprendre la rapidité de la dégradation physique des déportés, l'on peut prendre l'exemple du premier convoi de déportés juifs parti de Compiègne le 27 mars 1942 à destination d'Auschwitz. Contrairement à ce qui se passera pour la majorité des convois « raciaux » ultérieurs, tous les détenus sont immatriculés à leur arrivée (aucun donc n'est gazé), mais d'avril à août 1942, en cinq mois à peine, 1 008 des 1 112 déportés mourront d'épuisement, de maladie ou de mauvais traitements. À l'issue de la guerre, on comptera 19 survivants de ce convoi.

11. Le journal de Kremer a fait l'objet d'une longue analyse par l'historien Maxime Steinberg (Les yeux du témoin et le regard du borgne. L'histoire face au révisionnisme, Paris, Les éditions du cerf, 1990).

12. La place manque pour évoquer le sort particulier mais très cruel des Tziganes sous le régime nazi. Plus de 5 600 d'entre eux furent gazés à Auschwitz, et près de 14 000 y moururent de faim, de maladie ou de mauvais traitements. Il faut y ajouter des milliers d'autres victimes en d'autres lieux et dans d'autres circonstances (d'après Guenter Lewy, La Persécution des Tsiganes par les nazis. Paris, Les Belles Lettres, 2003).

13. L'expression est celle de Joseph Goebbels, l'idéologue du régime nazi qui l'utilise en février 1943 après la défaite allemande à Stalingrad. Elle est cependant postérieure au début de l'extermination physique des Juifs qui a commencé à l'été 41 avec l'invasion de l'URSS et qui s'est généralisée avec les déportations qui sont organisées à partir du printemps 42. Les échecs militaires allemands ne sont donc pas du tout la cause du génocide clairement antérieur.

14. Les premières mesures antisémites comme celles dirigées contre les mouvements de résistance allaient rapidement bafouer ce respect des règles élémentaires.

15. Christian Streit, Keine Kameraden. Die Wehrmacht und die sowjetischen Kriegsgefangenen, 1941-1945. Berlin, Verlag J. H. W. Dietz Nachf. 1991.

16. La mortalité baissera lorsque les Allemands s'apercevront qu'ils ont d'importants besoins de main-d'œuvre à cause du prolongement du conflit. Mais le taux de mortalité des prisonniers soviétiques, considérés comme des sous-hommes, restera beaucoup plus important que celui des prisonniers de guerre français ou britanniques.

17. Dieter Pohl, « L'occupation militaire allemande et l'escalade de la violence en Union soviétique » (traduit de l'allemand par Nicole Thiers) dans Occupation et répression militaire allemandes, Paris, Autrement, 2007, p. 41-69.

18. Christian Gerlach, « La Wehrmacht et la radicalisation de la lutte contre les partisans en Union soviétique de 1941 à 1944 » (traduit de l'allemand par Gaël Eismann et Julie Obert), dans Occupation et répression militaire allemandes, Paris, Autrement, 2007, p. 71-87.

19. On rappellera par exemple que, devant l'avancée des troupes soviétiques, les nazis décident d'évacuer les détenus survivants d'Auschwitz en janvier 1945 vers des camps de concentration en Allemagne, lors de ce qu'on appellera les « marches de la mort » : dans un froid glacial, les prisonniers trop faibles meurent sur place ou sont systématiquement abattus par les gardiens. À aucun moment, les nazis n'imaginent qu'ils puissent abandonner ces prisonniers aux Soviétiques.

20. On peut se reporter par exemple en anglais https://www.jewishvirtuallibrary.org/ et en français http://www.phdn.org/

21. À Maidanek, les SS utilisaient aussi bien du monoxyde de carbone (fourni en bouteilles) que du Zyklon B.

22. Une seul exemple parmi beaucoup d'autres. En avril 1944, deux détenus d'Auschwitz Rudolf Vrba et Alfred Wetzler réussissent à s'évader d'Auschwitz (il y a eu beaucoup d'évasions ou de tentatives d'évasion de ce camp mais elles ont le plus souvent échoué), et, parvenus en Slovaquie, ils rédigent un rapport sur le camp, les chambres à gaz et le génocide en cours, rapport qui sera transmis aux autorités alliées par la résistance slovaque. Ils estiment alors le nombre de personnes gazées à 1 750 000, ce qui, on le sait maintenant, est surévalué (on admet aujourd'hui un chiffre de 900 000 gazages sur un total de 1 100 000 morts). Les négationnistes en tirent comme conclusion que ces chiffres sont fantaisistes et que ces témoins sont des affabulateurs sinon des menteurs. Or, il suffit de prendre en considération les circonstances où ce rapport a été rédigé pour comprendre facilement, d'une part, que les témoins n'ont pu faire au camp que des comptages nécessairement approximatifs, et, d'autre part qu'ils ont voulu effectivement « gonfler » de bonne foi ces chiffres : en rédigeant ce rapport, ils voulaient en effet avertir les Alliés de l'extermination des Juifs et les convaincre en particulier d'intervenir d'une manière ou d'une autre pour interrompre la déportation des Juifs hongrois qui était en cours (sous la direction d'Adolf Eichmann). Dans une telle perspective, il est évidemment compréhensible qu'ils aient surévalué le chiffre des gazages. En revanche, s'il n'y avait eu aucune extermination en cours, pourquoi auraient-ils rédigé un rapport aussi incroyable et alarmant ? Et pourquoi se seraient-ils préoccupés de le faire parvenir aux autorités alliées qui n'en avaient nul besoin pour poursuivre leur effort de guerre ?

23. Les Soviétiques par exemple souhaitaient avant tout que soient reconnus les crimes commis en URSS contre des citoyens soviétiques sans que ne soit faite une mention particulière des Juifs.

24. On prend cet exemple parce qu'il met en cause un des grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Mais les historiens abordent bien d'autres sujets « tabous », par exemple les crimes de la colonisation, les traites négrières, le conflit israélo-arabe, les fusillés pour l'exemple lors de la Première Guerre mondiale... Tous les historiens ne sont pas d'accord sur tous les éléments de ces questions, et il y a notamment de nombreuses différences d'interprétation de ces événements. Mais personne ne nie qu'il y a eu des traites négrières ni qu'il y a eu des « enfumades » lors de la conquête de l'Algérie par la France (« Les enfumades sont une technique utilisée en Algérie par le corps expéditionnaire français durant la conquête du territoire de la Régence d'Alger en 1844 et 1845. La technique consiste à asphyxier les personnes réfugiées ou enfermées dans une grotte en allumant devant l'entrée des feux qui consomment l'oxygène disponible et remplissent les cavités de fumée. Des "tribus" entières auraient été ainsi annihilées. » source : Wikipedia)

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