Réhabilité par Martin Scorsese dans les années 1990, ce chef-d’œuvre du cinéma soviétique est une impressionnante et déroutante symphonie visuelle qui mélange rêverie sensuelle et film de propagande détourné
À travers quatre histoires qui renforcent l’idéal communiste face à la mainmise du capitalisme, Soy Cuba dépeint la lente évolution de Cuba, du régime de Batista jusqu’à la révolution castriste.
Pedro travaille dans les champs de cannes à sucre. Au moment d’une récolte qui s’annonce fructueuse, le propriétaire des terres lui annonce que sa maison et des terres ont été vendues à une société américaine. À l’université de La Havane, Enrique fait partie d’un jeune groupe d’opposants au régime de Batista. Il s’apprête à assassiner un policier, mais au moment fatidique, le courage lui fait défaut. Dans la Sierra Maestra, Mario et sa famille vivent pauvrement. Après avoir accueilli un jeune soldat luttant aux côtés de Castro, Mario et sa famille sont bombardés sans raison apparente par les forces aériennes de Batista...
Palme d’or à Cannes en 1958 avec Quand passent les cigognes, Mikhaïl Kalatozov, cinéaste officiel et néanmoins talentueux du régime soviétique, est chargé par les autorités de tourner un vibrant hommage épique au peuple cubain et à la récente révolution castriste. De fait, Soy Cuba arbore toutes les caractéristiques du cinéma de propagande de l’époque : manichéisme en béton, lyrisme populiste, exaltation des « bons » (les miséreux cubains) et caricature des « méchants » (les profiteurs du régime de Batista). Cela dit, Soy Cuba ne saurait être réduit à cette facette idéologique, tant Kalatozov fait ici preuve d’inventivité formelle, d’aspiration stylistique débridée et d’un vrai désir communicatif de faire du cinéma. Quand il délaisse son sacerdoce évangélique pour regarder et filmer Cuba, Kalatozov capte magnifiquement la beauté des lieux et la sensualité torride des habitants, notamment les bombes qui se déhanchent aux sons de musiques tropicales enfiévrées. Peut-être que l’ambiance de lendemains qui déchantent régnant à Cuba au moment du tournage a poussé le cinéaste vers l’empathie pour les gens qu’il filmait, tout en le détournant un peu de sa mission officielle. Avec l’aide d’un noir et blanc somptueux et de voluptueux travellings serpentins, Kalatozov fait jaillir un monde onirique et baroque qui n’est pas sans évoquer le meilleur Orson Welles. Au document historico-politique se superpose donc un fruit de cinéma aussi juteux que capiteux. Soy Cuba rappelle ce qu’a pu être la puissance lyrique du cinéma soviétique et du cinéma tout court.