Grand Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes 2022
Grand Prix de la section Un Certain Regard à Cannes, Les Pires est un conte humaniste et généreux qui parle de l’enfance et d’une rencontre miraculeuse. D’un côté, un quartier populaire, de l’autre, l’équipe de tournage d’un film…
Un tournage va avoir lieu dans la Cité Picasso, à Boulogne-Sur-Mer, dans le Nord de la France. Lors du casting, quatre ados, Lily, Ryan, Maylis et Jessy, sont choisis pour jouer dans le film. Dans le quartier, tout le monde s’étonne : pourquoi n’avoir pris que « les pires » ?
Ce premier film parle de cette grande et épique aventure humaine qu’est le tournage d’un film et dont le cinéma s’empare souvent et dans tous les genres (Coupez !, il y a quelques mois). L’intensité provoquée par la rencontre entre le désir de filmer un récit imaginaire et la réalité (décors, imprévus, humeur…) qui le compose produit une secousse artistique et humaine dont tout le monde ressort transformé. La bonne idée du film réside dans le fait qu’il ait justement choisi des personnages inscrits dans l’enfance et qui ont encore tout à découvrir de la vie. Dans une veine documentaire très précise, il additionne les micro-histoires, à tous les échelons, et esquisse de petits récits sentimentaux teintés par moment de désillusion (cet amour que l’on sait pourtant sans issue, mais auquel on veut croire au-delà du tournage).
Si suivre un groupe dans un processus de création est déjà passionnant (le mouvement, toujours le mouvement), le film se singularise par l’émotion sincère et forte qu’il produit en s’intéressant à la relation entre le réalisateur et ses comédiens, puis aux questions éthiques que cela soulève, particulièrement dans ce contexte social. Comment filmer la pauvreté sans tomber dans le misérabilisme ? Comment ne pas manipuler de jeunes comédiens inexpérimentés et préserver leur vérité ? C’est à l’intersection de ses deux dimensions, artistique et humaine, que les dilemmes sont les plus difficiles à surmonter et qu’un réalisateur se révèle à la hauteur. Les séquences intimes lors des pauses sont particulièrement évocatrices et leur beauté prouve la justesse d’un film qui sait de quoi il parle, d'un réalisateur qui a d’abord envie de vivre une belle et forte expérience humaine, puis de faire un film. Lorgnant du côté de l’humanisme lucide d’un Ken Loach, les réalisatrices montrent la beauté là où elle se trouve, dans ce qui découle de la franchise d’une relation humaine et de la modestie des scènes de la vie quotidienne, quelque part derrière le décor de la grande histoire du monde.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux