Puisant dans les codes du film noir, le sixième long-métrage de Patricia Mazuy (Saint Cyr) ne laisse pas indifférent : il contient une dose massive de violence qui se transforme, grâce à son regard esthétiquement élégant mais aussi clinique, en poésie visuelle
A la mort de leur père, Guillaume, policier ambitieux, offre en gérance le bowling dont il vient d'hériter à son demi-frère marginal, Armand. L'héritage est maudit et va plonger les deux hommes dans un gouffre de violence…
Bowling Saturne est un film dominé par les hommes, ou mieux par les hommes hégémoniques, ceux qui ont transformé leur virilité en marque de fabrique. Des hommes apparemment arrogants qui cachent en eux une foule de frustrations, un grand manque de confiance en eux, un sentiment de solitude et une incapacité à communiquer avec les autres mais aussi, et surtout, avec eux-mêmes. La seule exception est Guillaume, le héros du film, victime collatérale d’un système qui le rejette, marginalisé par les mâles dominants qui, par leur mépris, incitent à une rage aveugle.
Comment mettre en images la frustration et l'agressivité réprimées de ces hommes ? Patricia Mazuy a décidé de traiter ces questions directement sans se cacher derrière de la fausse pudeur, en attaquant les stéréotypes (de genre) de manière frontale, parfois clinique.
Bowling Saturne est un film noir fortement ancré dans notre société contemporaine, un film qui se nourrit des perversions et des contradictions d'un patriarcat qui se croit invincible. "Les filles ne boivent pas", ou encore "je croyais que c’était une pédale" : voilà le genre de considérations que le groupe de mystérieux chasseurs (métaphore d'une masculinité abusive qui s’autoalimente à travers sa dynamique de "troupeau") formulent à propos des femmes ou des hommes "non conformes" qui ont trahi le pacte homosocial. Les hommes deviennent, à travers le regard caustique et incisif de Mazuy, une espèce en voie d’extinction, un groupe auparavant monolithique qui se délite pour recouvrir d'innombrables réalités parallèles impossibles à contrôler.
Bowling Saturne met en scène le revers de la médaille d’une société patriarcale qui montre sa face la plus grotesque, une réalité contre-utopique dans laquelle le pouvoir viril se transforme en venin, en déclencheur d’une animalité que notre société croit encore pouvoir garder sous contrôle.