Sur le thème de la permission carcérale, cette première fiction belge dépeint avec sobriété et sensibilité l’existence de personnes détenues que l’on regarde, avant tout, comme des hommes avec leurs blessures intérieures
Pour la première fois depuis longtemps, trois détenus se voient accorder une permission d’un week-end. 48h pour atterrir. 48h pour renouer avec leurs proches. 48h pour tenter de rattraper le temps perdu…
La prison dégage une double image paradoxale dans la société. C’est à la fois quelque chose de tangible, en tant que bâtiment inscrit dans le décor d’une ville, et d’abstrait tant ce qui s’y joue à l’intérieur ne nous est forcément pas accessible. Cet aller-retour entre le visible et l’invisible peut nourrir tous les fantasmes, ce que le cinéma de fiction a assimilé depuis longtemps. Nombreux sont les polars et les films d’horreur à thésauriser sur une certaine mythologie de la violence galvanisée par un rendu esthétisant de l’atmosphère.
Rien de tout cela dans ce premier long métrage d’Ève Duchemin, d’une remarquable sobriété. D’une part, il parle des prisons sans y concentrer son action et, d’autre part, il montre que la prison génère de la souffrance pour ceux qui y sont incarcérés, tout comme pour les familles concernées. Temps mort coupe ainsi court aux clichés et amène de la nuance dans un débat de société, souvent diabolisé, autour du statut des personnes détenues. Après un documentaire sur une directrice de prison, la réalisatrice démontre que la question carcérale est importante pour elle, et l’on sait à quel point le choix du thème est fondamental pour celle ou celui qui se lance dans son premier long métrage.
Comme son titre le suggère, le film se glisse dans une brèche, entre deux mondes, le dedans et le dehors, dans laquelle des prisonniers renouent avec la société dans une temporalité réduite. Eve Duchemin filme trois trajectoires en faisant le pari d’une fiction qui mise sur une tension inscrite dans l’intimité d’espaces souvent réduits. Elle capte des petits moments de la vie quotidienne, des relations humaines à l’intensité variable, qui entrecroisent l’amour et le rejet. Eve Duchemin intègre le réel dans la fiction sans artifices de scénario, portée par le mouvement de ses trois personnages au contact de leurs proches ou dans leur solitude la plus existentielle et dont elle filme les corps et les visages de près.
Pour cela, elle peut s’appuyer sur trois comédiens formidables qui, dans des registres différents, donnent de l’intensité et de la profondeur dans leur jeu. Ils font de leurs personnages des êtres entiers que l’on suit pendant près de deux heures, en prenant le temps de les découvrir et de les comprendre. Quand Bernard renoue avec son fils et, par un excès de générosité et de maladresse, risque de basculer du mauvais côté en reprenant trop généreusement à boire, quand Colin n’arrive pas à communiquer avec sa mère pourtant dans la même pièce que lui et quand Hamousin marche le long de la chaussée, le regard droit, vers on ne sait quelle destinée, ce sont des êtres humains dans toute leur beauté complexe que l’on regarde. Nous ne savons pas les délits qu’ont commis ces hommes dans le passé. Peu importe. Nous sommes proches d’eux dans l’instantanéité du temps présent, celui qui mêle inquiétude, tension et espoir.
Comment vivre dans son corps quand sa tête est ailleurs ? Comment exister en dehors de la prison, lors d’une brève permission ? Temps mort révèle le poids des souffrances intérieures de personnages sur le point de tomber mais encore debout, et cette résistance est terriblement émouvante à observer.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux