Ours d'argent à la Berlinale 2023
Ours d’argent à Berlin, ce premier long métrage est un film de guerre atypique, un pur objet de cinéma, réaliste et psychédélique dans son évocation brutale et sensorielle d’un conflit, sur ces corps hantés par la mort et en exil permanent
Prêt à tout pour s’enfuir de Biélorussie, Aleksei rejoint Paris et s’engage dans la Légion étrangère. Il est envoyé au combat dans le Delta du Niger où Jomo, jeune révolutionnaire, lutte contre les compagnies pétrolières qui ont dévasté son village. Si Aleksei cherche une nouvelle famille dans la Légion, Jomo s’imagine être un jour danseur, un " disco boy ". Dans la jungle, leurs rêves et destins vont se croiser…
Disco Boy est une claque qui s’attaque au film de guerre, genre iconique par excellence, sans aucune timidité. Son approche combine le réalisme le plus brutal à l’onirique le plus doux. Voir Disco Boy, c’est l’assurance de vivre une expérience sensorielle, forte et déstabilisante. Volontairement énigmatique dans sa narration, le film déroule des séquences autonomes, s’appuie sur un montage brut qui nous transporte d’une atmosphère et d’une géographie à l’autre (l’Afrique et l’Occident), sans transition. Il est soutenu par une bande-son électro, lancinante, répétitive et puissante dans ses sonorités basses signée par Vitalic, un des papes de l’électro. Telles ces séquences de nuit filmées en caméra thermique où la réalité se mue en expérience fantastique, les effets visuels finissent par inscrire ce Disco Boy dans le registre des films qui nous emmènent aux portes de l’enfer, des coups de feu, de la mort et de la culpabilité.
Ce premier film traduit l’angoisse existentielle des personnages et toute la violence sourde prête à exploser en eux, en particulier quand ils quittent les lieux du conflit et reviennent sur terre.
Une des autres singularités du film est le dialogue mystérieux qu’il installe entre les deux personnages centraux. Le jeune Aleksei cherche sa place sur terre mais reste profondément solitaire. Dans l’incapacité de vivre pleinement les choses, il est comme envahi par l’âme de son ennemi, Jomo. C’est une magnifique idée de cinéma, pleine de poésie.
Disco Boy est un film sur l’exil et la perte, sur cette quête perpétuelle d’identité alors que l’on est dans l’incapacité d’appartenir au monde (« en dehors de la Légion, tu es un sans-papier, un clandestin » crie un officier à Aleksei), d'être reconnu par la société. Regardons précisément Aleksei, un être sur ses gardes, qui traverse les lieux avec, en lui, la violence concrète du passé et celle abstraite du futur, incapable de relâcher son corps, ce corps tendu par trop de culpabilité et de violence. Et si le pouvoir transcendantal de la danse et de la musique, double symbolique de son ennemi Jomo, pouvait enfin le libérer ?
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux