Prix d'interprétation masculine pour Koji Yakusho au Festival de Cannes 2023
Au meilleur de sa forme, Wim Wenders (Les Ailes du désir, Paris Texas) réussit un grand film digne et émouvant, tourné vers l’épure et la contemplation, sur le quotidien d’un laveur de toilettes à Tokyo, solitaire et amoureux des arts
Hirayama travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo. Il s’épanouit dans une vie simple et un quotidien très structuré. Il entretient une passion pour la musique, les livres et les arbres, qu’il aime photographier. Son passé va ressurgir au gré de rencontres inattendues…
Le scénario traduit cette sensation, répétitive et monotone, que dégage le travail du personnage principal (Prix d’interprétation masculine à Cannes totalement justifié pour Koji Yakusho) en filmant un quotidien anti-spectaculaire. Pourtant, par le soin accordé aux gestes et aux détails, Wenders rend passionnant tout ce qui se passe à l’image. La modernité au cinéma, c’est aussi rendre essentiel l’anecdotique, étirer le temps pour raconter des histoires modestes, qui reposent finalement sur l’essentiel : des êtres (et non des héros hollywoodiens) observés dans leur intimité. Nous découvrons et ressentons la vie de cet homme solitaire qui met tant de soin à faire son métier, dans le respect de l’autre. Après journée, dans son appartement, il se couche souvent à terre, sur son matelas, pour écouter des cassettes de groupes et artistes rock des années 1960-70 (Patti Smith, Animals, Kinks, Lou Reed…). Sa musique, il l’écoute aussi au volant de sa voiture, dans de belles séquences d’évasion mentale, tout en apesanteur. Là, traversant une imposante architecture urbaine moderne, cet homme dont les pensées sont connectées à la musique semblerait presque conduire plusieurs mètres au-dessus de la route, la tête dans les nuages.
Par sa dimension mélancolique et spirituelle, le film tend au recueillement. Cette nudité-là, la solitude d’un homme, Wim Wenders la contemple avec la délicatesse de l’artiste qui s’est débarrassé de la lourde machinerie du cinéma, des grands mouvements de caméra, de cette esthétique très travaillée qui a fait sa réputation. À l’image de son titre, tout en simplicité lui aussi, et qui se réfère à la célèbre chanson de Lou Reed. Cette approche très minutieuse et réaliste, aux portes du documentaire, cherche à nous révéler la part secrète d’un homme qui, comme tout un chacun, garde enfouis en lui des pensées et des souvenirs familiaux qu’il n’est pas toujours souhaitable de faire revivre, sauf quand le destin s’en mêle.
À travers le portrait de cet homme qui trouve dans l’écoute de la musique, la lecture, la pratique de la photographie, le plaisir de ressentir et de voir les choses, de s’ouvrir l’esprit, d’être dans l’empathie pour l’autre, tout simplement de vivre, le film adresse aussi un message en creux sur la nécessité de l’art dans nos sociétés, pilier démocratique essentiel. Perfect Days est ce récit de la condition humaine, sans sentimentalisme ni revendication démonstrative. L’histoire d’un être seul, mais qui est tourné vers l’autre. Un être que la société tend à invisibiliser, mais que Wenders filme avec une bouleversante tendresse pour ne jamais en faire le dernier des hommes.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux