Xavier Seron (Je me tue à le dire) trace un sillon qu’il est le seul à emprunter aujourd’hui dans notre cinéma belge, celui de la comédie noire et grinçante. Dans Chiennes de vies, trois destins se croisent, trois histoires d’humains et… de chiens. Le mélange est explosif !
Dans le premier segment du film, Tom consent à recueillir le chihuahua de son défunt voisin pour plaire à Cécile. Seul problème, cette bestiole, en apparence inoffensive, semble avoir poussé son maître au suicide et vouloir lui faire la peau à lui aussi… Dans le second, on fait la connaissance de Greta, une comédienne et égérie d’une célèbre marque de parfum, alors qu’elle est complètement anéantie : son chien et son assistante sont morts écrasés par un camion. Dans une blanchisserie, Greta rencontre Charlotte et lui propose de remplacer son assistante… à moins qu’il ne s’agisse de se substituer à son chien. Dans le troisième et dernier segment, on rencontre Franck et Lola, qui ont le coup de foudre l’un pour l’autre. Ils partagent énormément de points communs, sauf un : Lola n’aime pas les chiens. Franck doit choisir entre son nouvel amour et Perdita, sa meilleure amie et le meilleur des chiens…
Le style visuel du film se démarque du tout-venant avec ce noir et blanc granuleux et contrasté qui nous fait tout de suite comprendre que l’on ne se trouve pas face à une gentillette comédie du samedi soir. Dans un même mouvement maîtrisé, Xavier Seron convoque le burlesque, la causticité, l’irrévérence et la tendresse pour raconter des scènes de la vie quotidienne à dormir debout, dans lesquelles on s’aperçoit très vite que les relations humaines se compliquent pour un rien… qui devient tout. Comme dans toute bonne comédie, la malchance accable des personnages pris dans un engrenage dont ils ont toutes les peines du monde à s’extraire. Ici, pour ne rien arranger, les rapports ambigus qu’ils entretiennent avec les chiens font tout exploser.
Xavier Seron s’entoure d’excellents comédiens et comédiennes belges (Jean-Jacques Rausin, Mara Taquin, Arieh Worthalter) et confirme sa capacité à créer des personnages souvent paumés mais jamais risibles. Il a l’art de créer des situations pleines de tendresse là où on ne s’y attend pas.
Il réhabilite le film à sketches (genre très courant à une époque dans la comédie) et assemble trois récits qui s’entrecroiseront légèrement, sans perdre en cohérence. Les deux premières histoires sont les plus ouvertement absurdes et trash, poussant le réalisme dans ses derniers retranchements, comme dans un dessin animé. Le dernier, clairement le plus sensible et le plus fort, met en lumière la détresse d’un homme face à la mort annoncée de son chien et son incapacité à préserver sa vie de couple. Tout en assumant une forme de poésie du ridicule, dans la tradition d’un surréalisme désenchanté à la belge, Xavier Seron a toujours le réflexe de rattraper et d’enlacer ses personnages avant qu’ils ne tombent définitivement dans le pathétique.
Tous sont le reflet d’une époque angoissante qui a définitivement besoin de tendresse.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux