Cinéaste qui aime mélanger les genres et travailler la forme, Bertrand Bonello (L’Apollonide, Saint Laurent) adapte à son tour la nouvelle d’Henry James. Son histoire d’amour impossible traverse le temps et s’avère être une déroutante et radicale expérience cinématographique
Dans un futur proche où règne l’intelligence artificielle, les émotions humaines sont devenues une menace. Pour s'en débarrasser, Gabrielle doit purifier son A.D.N. en replongeant dans ses vies antérieures. Elle y retrouve Louis, son grand amour. Mais une peur l'envahit, le pressentiment qu'une catastrophe se prépare…
Le court roman de l’écrivain américain Henry James publié en 1903 a déjà fait l’objet de plusieurs adaptations au théâtre, notamment par Marguerite Duras, et au cinéma par François Truffaut (La Chambre verte, 1978) et Patric Chiha (La Bête dans la jungle, sorti en septembre dernier). Son contenu énigmatique, sa complexité narrative, sa réflexion sur le destin et le secret composent un matériau propice à des relectures personnelles et expérimentales.
Bertrand Bonello s’empare à son tour de ce texte, plein d’ambiguïté et de possibles, pour faire sens par la forme. La Bête est un film-expérience qui compose une symphonie formelle qui en appelle à notre affect le plus profond, à ce que nous entretenons mystérieusement avec ce cinéma pur qui défie le vraisemblable.
C’est un voyage qui joue avec les genres et les ambiances en nous emmenant dans plusieurs époques : au début du XXe siècle (drame historique), aujourd’hui (thriller) et dans un futur proche (science-fiction). On passe du réel au virtuel, du classicisme à la radicalité, de la sensibilité à la violence dans une succession de séquences souvent visuellement très fortes. De ce ressenti contradictoire éclot une tension déstabilisante. Jamais nous ne savons où nous dirige le film, dans quel monde nous allons basculer. Au cœur de cette expérience incertaine du regard, à la beauté plastique abstraite qui évoque l’univers d’un David Lynch, Bertrand Bonello met en lumière la fragilité, le romantisme et l’inquiétante étrangeté de deux êtres (Léa Seydoux et George MacKay, crédibles et touchants, dans leur jeu sobre) dont on ressent plus qu’on ne comprend ce qu’ils vivent : une histoire d’amour aux prises avec un destin indomptable, mêlé au poids du passé. La Bête n’est peut-être pas un film commode, tout en froideur distanciée et exigence, mais il fascine si l’on accepte d’y plonger sans retenue.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux