Ce premier long métrage explore avec authenticité les relations mère-fils à partir du thème de la bipolarité, abordé de front mais sans lourdeur. L’histoire d’une parenthèse enchantée sublimée par les interprétations si sensibles d’Agnès Jaoui et de William Lebghil
Pierre, 33 ans, fleuriste à succès, voit sa vie basculer lorsque sa mère, Judith, fantasque et excessive, débarque dans sa vie après deux ans sans se voir. Pierre n’a qu’une idée, reprendre le cours normal de sa vie, mais rien ne se passe comme prévu. Leurs retrouvailles, aussi inattendues qu’explosives, vont transformer Pierre et Judith à jamais…
À partir du thème difficile de la bipolarité, maladie psychique qui est la cause de dérèglements de l’humeur (avec pour conséquence une alternance d’états d’exaltation et de dépression), Julien Parmentier réalise le juste portrait intime d’une mère et de son fils que l’on devine très personnel.
Son film capte le souffle incandescent d’une vie abordée sans filtre et à cent à l’heure. Il a les allures d’un conte en forme de parenthèse enchantée, celle que vont vivre Judith et Pierre le temps de retrouvailles improbables.
Le réalisateur Julien Carpentier oppose l’exubérance de la mère au calme placide du fils et nous présente un duo hérité des comédies burlesques classiques, mais pour construire une tout autre histoire, prioritairement sentimentale. Ces deux personnages que tout oppose vont parcourir un bout de chemin ensemble, sans se soucier des conséquences, en vivant l’expérience intense que peut receler l’instant présent, quand il est possible de tout se dire. “J’ai besoin de toi, tu sais”, avoue Pierre à Judith dans l’une de ces scènes, nombreuses dans le film, où la gravité des mots côtoie la simplicité du moment.
Le réalisateur n’esquive pas les symptômes de la bipolarité, ne masque ni les fragilités de la malade (Judith qui ne se remet pas du décès de son père, qui veut arrêter de prendre ses médicaments car elle ne veut plus être un légume) ni les conséquences pour l’entourage, sans rien dramatiser, en restant digne. Finalement, on en vient très vite à mettre de côté la question médicale pour s’émouvoir pleinement de la relation entre deux personnes qui avaient (trop vite) fini par ne plus se voir et ne plus se comprendre.
À bien y regarder, rares sont les films contemporains à transcender un sujet cliché comme celui-là. La Vie de ma mère déjoue le piège de la lourde étude psychologique propre aux drames familiaux et aux films à dossier. Il veille, avant tout, à faire surgir la beauté des êtres quand plus rien n’existe dans le plan, si ce n’est leur intériorité.
Agnès Jaoui interprète une Judith magnifique dans sa fragilité, saute d’une humeur à l’autre en en maîtrisant les excès. À ses côtés, William Lebghil s’affirme comme l’un des meilleurs comédiens de sa génération, à la palette de jeu variée, capable d’être drôle et touchant, dans le détachement et dans la délicatesse. Pierre est ce fils attentif et plein d’empathie pour sa mère, si joliment révélé par la mise en scène discrète d’un réalisateur au service de ses personnages.
La Vie de ma mère est un film qui a du coeur, simple et sensible, qui colore le quotidien d’êtres communs. Il sublime la vie de tous les jours, recherche le beau derrière le dramatique. Il fait partie de ces oeuvres qui ne recèlent aucun conflit gratuit dans leur récit, ni cynisme dans leur regard. Tous les personnages sont attachants, avec leurs qualités et leurs défauts. Pas d’angélisme béat ni de mièvrerie, car la mélancolie finit toujours bien par surgir. Surtout, cette parenthèse enchantée est destinée à se refermer, alors, autant en profiter à fond, nous comme eux.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux