Dix années après le retentissant Timbuktu, Abderrahmane Sissako quitte l’Afrique et suit les pas d’une jeune femme libre qui préfère l’exil à une vie qu’elle n’a pas choisie. Black Tea nous emmène en Chine pour parler d’amour, d’identité et de mondialisation
Quelle surprise de retrouver la délicatesse et la subtilité de l’écriture du réalisateur mauritanien dans cette histoire d’amour se déroulant au cœur de la ville de Canton. Le jour de son mariage, Aya, une jeune Ivoirienne, dit non à son futur époux infidèle, refusant ainsi une vie toute tracée où elle ne trouve pas sa place. La jeune femme veut être la seule à décider de sa destinée. On la retrouve en Chine où elle travaille dans la boutique de Cai, un quadragénaire chinois qui fait de l’import-export de thé. L’art de choisir, de comprendre et de servir le thé est délicat, presque sensuel. Au fil des jours, Cai transmet à Aya toutes les nuances et les subtilités de cet apprentissage. Peu à peu, un lien intime se tisse entre eux, puissant et délicat, à l’image des préparations dont ils décodent les saveurs. Mais si les mondes se rencontrent, peuvent-ils réellement coexister ?
Filmé essentiellement de nuit, le quartier où nait l’amour entre Aya et Cai ressemble à un huis clos baigné de lumière tamisée. Le cinéaste emmène ses personnages dans quelques lieux choisis (la boutique de thé, un restaurant luxueux ou le salon de coiffure africain oles clients partagent confidences, anecdotes et mal du pays) qu’il sublime grâce à la photographie d’Aymeric Pilarski et à plusieurs morceaux de musique capverdienne (on comprendra pourquoi un peu plus tard). Sissako semble ainsi concentrer son histoire dans une bulle intemporelle et romantique, loin du fracas de la grande métropole chinoise. Bien sûr, les failles apparaissent, le passé des deux amants ressurgit et les contraint à faire des choix. Loin de ses fables poétiques et politiques, le cinéaste invente un conte romanesque, avec ses joies, ses tourments et ses impasses. En racontant l’histoire d’amour entre une émigrée ivoirienne et un Cantonnais, il propose une autre façon de regarder les mutations provoquées par la mondialisation. Black Tea est un film doux et délicat, qui se savoure lentement, comme un délicieux thé parfumé.
LAURENCE HOTTART, les Grignoux