Pour sa sixième réalisation, Daniel Auteuil aborde le genre emblématique et très codifié du film de procès et s’y épanouit artistiquement. Tiré d’une histoire vraie, celle d’un avocat qui cherche un nouveau sens à donner à son métier, Le Fil est un très beau film classique d’une grande profondeur existentielle
Depuis qu’il a fait innocenter un meurtrier récidiviste, Maître Jean Monier ne prend plus de dossiers criminels. Mais la rencontre avec Nicolas Milik, père de famille accusé du meurtre de sa femme, le touche et fait vaciller ses certitudes. Convaincu de l’innocence de son client, il est prêt à tout pour lui faire gagner son procès aux assises, retrouvant ainsi le sens de sa vocation…
Daniel Auteuil est une figure majeure et populaire du cinéma français, un comédien
à la carrière exemplaire, à l’aise dans tous les registres et tous types de production. Depuis 2011 et la première de ses quatre adaptations de l’œuvre de Marcel Pagnol, La Fille du puisatier, on le découvre aussi derrière la caméra dans des œuvres de facture classique.
Avec Le Fil, tiré du roman Au guet-apens : chroniques de la justice pénale ordinaire de Jean-Yves Moyart, il passe à un échelon supérieur dans la maîtrise de la mise en scène. Très clairement, il réussit son film le plus abouti à ce jour, le plus dense et complexe, que l’on sent inspiré par Simenon. Dans cette posture tout en rondeur, faussement bonhomme, que choisit d’endosser l’avocat pour mener son enquête, on jurerait apercevoir le commissaire Maigret en train d’arpenter à pas feutrés les recoins d’un petit village de province pour mieux le comprendre. À la manière de l’écrivain liégeois, Auteuil sonde la complexité de l’âme humaine tout en posant un regard empathique sur ses personnages (interprétés par Daniel Auteuil lui-même et Grégory Gadebois, impressionnants d’intensité), sans jamais être dans le jugement. S’il capte essentiellement leur relation, il les suit aussi dans leur déchirante solitude. Quand l’avocat se retrouve dans un parking souterrain, chancelant, littéralement à bout de force, on ferait tout pour lui tenir le bras.
Le film est traversé d’une double blessure à soigner et de l’espoir d’un renouveau. Cela relie la destinée des personnages centraux, à tel point que la frontière entre le professionnel (l’objectivité) et l’intime (l’amitié) pourrait presque finir par fusionner. D’abord, l’histoire d’un avocat qui ne se sentait plus capable de prester pour de telles affaires et qui voit dans ce dossier la possibilité d’une résurrection, d’un plaisir retrouvé à plaider, mû à nouveau par une volonté sacrée de croire en la justice. Ensuite, celle d’un accusé que tout accable a priori, d’un père de famille qui se défend de tout crime et qui a une dignité à retrouver, une renaissance à entamer d’urgence.
Le film de procès est le compte-rendu d’une aventure humaine dans laquelle la parole domine, mais aussi la posture et les regards des protagonistes. Ce sont les figures clés d’une grande pièce hantée par la quête, si difficile, de la vérité. L’accusé ment-il à l’avocat ? Ce questionnement permanent est ce qui fait le suspense du film, sa tension. Parce qu’il plonge prioritairement dans la fragilité humaine, le film vaut beaucoup plus que pour son histoire, quand bien même est-elle solidement écrite et dialoguée. Enfin, l’ambiance visuelle, essentiellement nocturne et discrète, exprime aussi quelque chose de la complexité qui parcourt ce film, si humain, dont il est passionnant de découvrir ce qui se cache derrière les apparences, jusqu’au bout.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux