Dans cette histoire digne d’une comédie d’aventures à l’ancienne (mais pas que), inspirée par le cinéma muet, le portugais Miguel Gomes (Tabou) ajoute une touche de romantisme moderne où la femme recherche l’homme en fuite. Prix de la Mise en scène au Festival de Cannes
Rangoon, Birmanie, 1918. Edward, fonctionnaire de l’Empire britannique, s’enfuit le jour où il devait épouser sa fiancée, Molly. Déterminée à se marier, Molly part à la recherche d’Edward et suit les traces de son « grand tour » à travers l’Asie…
Le titre du film fait référence à un voyage emprunté par des Européens qui, au début du XXe siècle, partaient d’une grande ville de l’Empire britannique, en Inde, pour arriver en Chine ou au Japon.
Le cinéaste développe son histoire tout en digression, en prenant son temps, si loin des conventions narratives, et joue notamment avec les origines des images du passé.
Dans ce récit qui se déroule en 1918, les séquences qui ont le statut d’archives renvoient à des images filmées aujourd’hui, tirées du propre grand tour effectué par le réalisateur en guise de préparation. Cette démarche bouscule d’autant nos habitudes que le reste du film est tourné en studio, avec le caractère factice qui en découle.
La confusion règne volontairement entre ce qui est réel et ce qui est imaginaire, de l’ordre de la fiction ou du documentaire, du passé et du présent. Ce constat est renforcé lorsque le noir et blanc, majoritaire dans le film, est remplacé par la couleur dans certaines séquences.
Nous avons l’agréable impression de découvrir un film qui se transforme, en direct, au gré des inventions poétiques de son auteur. Ce tourbillon de sensations évoque métaphoriquement l’état d’esprit des deux protagonistes principaux, acteurs d’un voyage mouvementé qui nourrit l’instabilité de leur état d’âme.
Grand Tour est un geste artistique anti-commercial, résolument à part dans la production internationale, dans laquelle il est salutaire de se perdre.
Il est réjouissant que de telles propositions continuent à voir le jour et réfléchissent à ce point à l’expérience de la vision. Le film nous reconnecte ainsi à cette mise en scène pure et minimaliste, propre à la poésie du cinéma expressionniste des premiers temps, mais aussi à celle du mélo, du film d’aventures et des comédies de l’âge d’or hollywoodien, sans paraître passéiste.
Grand Tour nous fait revivre ces sensations que l’on éprouve dans des rêves où la perte des repères réalistes n’empêche pas de vivre un voyage qui marquera l’esprit, au point de regretter le réveil.
NICOLAS BRUYELLE, les Grignoux