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Dans un contexte politique dangereusement nationaliste et complètement délétère à l’égard des personnes en exil, L’Histoire de Souleymane agit comme un électrochoc, un récit bouleversant qui fait basculer notre regard et réveille notre indifférence. Prix du jury et du meilleur acteur dans la section Un Certain regard au Festival de Cannes 2024
On aimerait parfois qu’un film d’auteur comme celui-ci puisse faire la différence et transformer profondément les consciences, atteindre le coeur du plus grand nombre et déjouer les discours dominants qui tendent — et parviennent, malheureusement, par l’ampleur de leur couverture médiatique — à répandre leurs idées racistes (comment les définir autrement ?) envers les personnes migrantes. On aimerait que les films, reflets et miroirs du monde, jouent ce rôle pédagogique que les médias publics délaissent.
L’Histoire de Souleymane fait partie de ces productions qui viennent secouer le ronron de nos consciences découragées, des pensées qui susurrent « que peut-on y faire après tout ? », en nous rappelant la chair, l’humanité, la vie qu’il y a derrière toute situation d’exil. Comme Io Capitano l’a fait l’année dernière, elle suggère une lumière, une empathie folle, là où les déclarations de nos dirigeants politiques ne voudraient imposer que menace et peur de l’autre.
C’est pourtant dans cette France contemporaine hostile et suspicieuse qu’évolue Souleymane, jeune homme sans-papiers qui, tout en sillonnant Paris à vélo pour livrer des repas, répète sans relâche le texte qu’il entend délivrer lors de son audition à l’Office des étrangers. Durant 48 heures, la caméra mobile et immersive de Boris Lojkine le suit au plus près, saisissant chacune de ses interactions et détaillant subtilement la réalité qu’il traverse. Une réalité clandestine où il faut sans cesse être à l’affut, s’assurer d’être discret, de n’éveiller aucun soupçon. Évidemment, cette clandestinité suppose souvent de flirter avec le marché noir et se retrouver ainsi à la merci d’un milieu mafieux qui, lui aussi, vous maltraite.
L’impact puissant du film tient à sa faculté de nous identifier à Souleymane, de gommer toutes distances pour faire surgir l’urgence, l’adversité et la violence qu’implique le fait de vivre dans l’irrégularité. Une tension sociale immanente que le scénario restitue en un suspense époustouflant.
Dans ce monde-là, Souleymane a-t-il même le droit d’exister ? Son histoire singulière lui donnera-t-elle le droit de rester sur le territoire français ?
Inspirée par de nombreux témoignages d’hommes et femmes vivant dans les mêmes conditions, dont celle de l’acteur principal lui-même (superbe Abou Sangare), l’histoire de Souleymane vaut en tout cas largement la peine d’être racontée, diffusée et partagée. Elle vaut d’être entendue et regardée. Et nous défions quiconque de sortir de la salle sans vouloir sinon lui tendre la main, au moins le considérer.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux
