Petite pépite du cinéma indépendant américain, ce joli film de Rachel Lambert évoque avec finesse et fantaisie la difficile entreprise, sans cesse renouvelable, d’être et de rester heureux…
On se souvient que l’été dernier, Barbie cassait l’ambiance sur la piste de danse en demandant à ses copines si ça leur arrivait de penser à la mort. Dans ce monde coloré à l’excès, ola tendance penchait naturellement vers la joie de vivre, l’idée de la mort n’avait rien de souhaitable…
Ici, sur les terres grises de l’Oregon, à mille lieues de Barbie Land, Miss Fran, l’héroïne de cette production indépendante américaine, y pense sans arrêt. Pour cette employée de bureau à la timidité maladive, la mort n’est rien de moins qu’une douce rêverie à laquelle elle s’abandonne régulièrement. Alors que les journées se répètent et qu’elle s’évertue à avoir le moins d’interactions possible avec ses collègues, ses pensées morbides demeurent pour elle une échappatoire rassurante. Un imaginaire que la cinéaste Rachel Lambert met en scène de manière poétique, comme une série de tableaux dont la petite musique berce le film de façon singulière. Les choses changent le jour où son bureau accueille une nouvelle recrue, Robert, homme fantasque et sympathique qui fait mine de s’intéresser à elle…
Décliné sous des nuances de gris et de vert, celles du ciel embrumé et des forêts humides de l’Oregon, Sometimes I Think About Dying n’a, a priori, rien d’une parenthèse enchantée. Pourtant, le film nous enchante. Parce que, derrière sa fausse simplicité formelle, son intrigue aussi ténue que la silhouette de sa protagoniste, il déplie une poésie du quotidien pleine de grâce et d’émotions retenues. Ce qu’il traite en filigrane et de façon subtile, c’est de la dépression de son personnage principal. Cette langueur monotone qui l’habite depuis toujours et dont l’apparition d’une possible porte de sortie est encore plus dure à affronter que le fait de simplement vivre avec.
L’itinéraire de Fran est celui d’une jeune femme qui accepte progressivement de baisser les armes, de se heurter aux autres et de prendre le risque qu’implique chaque jour le fait d’être vivante, parce que celui-ci engendre aussi quelques joies. Dans cette exercice délicat, Daisy Ridley (héroïne des derniers épisodes de la saga Star Wars) nous subjugue. Tout en timidité et expressions empêchées, elle révèle les kilos de malaise qui écrasent son personnage. À l’image de cette réplique formulée par l’une de ses anciennes collègues et qui résonne comme le mantra secret du film : « it’s hard being a person » (« il n’est pas facile d’être une personne »). Une formulation simple, presque banale, trop ordinaire et pourtant, si poétiquement (mélancoliquement) vraie.
ALICIA DEL PUPPO, les Grignoux